Rue Fieldfare, à Beaconsfield, dans l'Ouest-de-l'Île, le chant des cigales enterre sans peine celui des tondeuses à gazon. Mais il n'est pas question que le bruit des marteaux piqueurs se joigne au concert, préviennent plusieurs résidants de ce quartier cossu.

Baptisé «Citoyens pour un développement responsable», leur groupe tente d'obtenir un référendum municipal pour bloquer la construction d'une résidence pour personnes âgées qui devrait compter 46 unités réparties sur deux étages.

 

«C'est un quartier résidentiel, ici. On ne veut pas d'un gros édifice. Ça ne cadre pas dans le secteur, et le prix de nos maisons va chuter», argue Mirka Svoboda, rencontrée sur le perron de sa demeure devant le terrain de l'église Beaurepaire, où l'immeuble doit être érigé.

«Il y a déjà beaucoup trop de voitures qui circulent et beaucoup trop de problèmes de stationnement. Avec la résidence, ce sera pire. On sait bien comment ça se passe: les gens âgés conduisent jusqu'à leur mort.»

À deux pas, au restaurant Le Bocage, Mark Waters est plus optimiste. «Ça devrait être bon pour les affaires, affirme l'employé. Peu de gens se déplacent à pied dans ce secteur, alors ce serait bien d'avoir de nouveaux clients au coin de la rue.»

La majorité des commerçants ne sont pas du même avis, car leurs clients peinent déjà à se garer, estime David Pelletier, qui vit et travaille dans le quartier. «La banque, le club vidéo, l'animalerie, la galerie d'art: ils sont tous contre, dit-il. On est contre la taille du projet et la façon de faire dictatoriale de la Ville. Mais comment voulez-vous qu'on lutte quand elle se ligue à l'église et aux aînés? Autant donner des coups de pied à des chiots.»

La future résidence doit avoir un stationnement d'une quinzaine de places, précise-t-il, alors qu'il en faudrait au moins trois fois plus.

Le maire de la ville, David Pollock, trouve que les opposants exagèrent: «Le quartier compte déjà un centre commercial, un garage, une pharmacie, des bureaux, et plusieurs bus circulent sur le boulevard voisin. La résidence ne détonnera pas.»

En 2006, un groupe soucieux de préserver un petit bois s'était opposé à la construction d'une autre résidence pour aînés. Mais Beaconsfield s'est ajusté, l'immeuble a été construit et personne ne s'en plaint aujourd'hui, assure le maire.

L'Association des retraités des secteurs public et parapublic n'avait pour sa part jamais entendu parler d'une controverse pareille. D'ordinaire, les citoyens s'opposent plutôt aux usines, aux éoliennes ou aux centres de désintoxication. Pas aux résidences pour aînés.

«La population vieillit, alors on aurait pu espérer que les gens appuient ce genre de projet, se désole le vice-président de l'Association, Roch Perreault. Je trouve dommage que ce ne soit pas le cas puisqu'on manque déjà de places en CHSLD. Si les gens les plus autonomes pouvaient aller dans des résidences comme celle de Beaconsfield, ça libérerait des places pour ceux qui le sont moins.»

Il y a deux jours, M. Perreault a révélé que la pénurie est particulièrement criante à Montréal, où il manque 2322 places en CHSLD.