Pendant que les télévisions du monde entier diffusaient des images de la casse survenue après la victoire du Canadien, hier, les commerçants du centre-ville ont réparé leurs vitrines fracassées et compté leurs pertes. La police a arrêté 41 personnes, dont 5 ont comparu en cour. Un grabuge «inévitable», selon l'administration Tremblay, qui recommande aux commerçants de mieux se protéger.

La scène devient familière au centre-ville de Montréal: des employés municipaux qui ramassent des éclats de verre sur les trottoirs de la rue Sainte-Catherine, des employés de magasin, en rogne, qui font le ménage de leur commerce dévalisé... Et la chaîne CNN qui diffuse à longueur de journée des scènes de casse après une victoire du Canadien en séries éliminatoires.

L'effusion de joie qui a suivi le match de mercredi a une fois de plus dégénéré et s'est soldée par l'arrestation de 41 personnes. Une victoire au goût amer, même pour les plus fervents partisans.

«Ce ne sont pas des amateurs de hockey qui ont fait ça, mais plutôt des croches, des sauvages et des criminels!» dit Terry, gestionnaire de l'immeuble qui abrite les magasins Foot Locker et Marciano, qui ont été vandalisés.

Outre ces deux boutiques, une succursale de la Société des alcools du Québec a été prise d'assaut par les vandales.

Les employés des commerces voisins interrogés hier matin estiment l'avoir échappé belle, mais ils retiennent leur souffle pour la suite des séries éliminatoires.

«Il faut plus de policiers! On s'attend au pire, mais on ne peut rien y faire», soupire Afid, gérant adjoint du magasin Browns, voisin des boutiques vandalisées.

Un dérapage prévisible

Lorsque les choses ont commencé à s'envenimer, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a immédiatement donné l'ordre d'évacuer la rue Sainte-Catherine, où plusieurs trouble-fêtes défiaient toujours les forces de l'ordre. Les casseurs ont lancé une pluie de projectiles aux policiers, notamment des bouteilles de bière. Deux policiers ont subi des blessures mineures et un cheval de la cavalerie a subi une coupure.

«Tout se déroulait pourtant bien jusqu'à environ minuit. Des gens se sont alors transformés en criminels, en casseurs, et s'en sont pris à nos policiers, en plus de faire du pillage», a raconté hier matin Sylvain Brouillette, directeur adjoint des opérations du SPVM.

Les policiers ont largué au moins 10 bombes de poudre irritante pour disperser les vandales.

Pour la première fois depuis la finale de la Coupe Stanley en 1993, le Canadien avait retransmis dans son amphithéâtre un match disputé à l'étranger. Les 20 000 spectateurs qui ont assisté à la diffusion au Centre Bell sont venus gonfler la mer humaine qui avait déferlé au centre-ville. Le SPVM ne croit pas que la présence de ces milliers de partisans euphoriques ait ajouté de l'huile sur le feu.

«Ce que j'ai vu au Centre Bell, c'était beaucoup de pères de famille et de jeunes enfants. Les gens étaient festifs», indique Sylvain Brouillette, qui ne regrette pas sa décision d'avoir fermé la rue à la circulation.

Selon lui, cette stratégie a sans doute permis d'éviter des gestes de vandalisme sur des voitures. Il a également salué le courage des centaines de policiers qui ont fait face aux projectiles et maté les casseurs en environ sept minutes.

Selon la Fraternité des policiers de Montréal, toutefois, cette intervention aurait été beaucoup plus efficace si le SPVM avait mobilisé la totalité des 200 policiers du groupe d'intervention tactique. Selon le syndicat, une quarantaine de ces agents hautement spécialisés et équipés à la fine pointe sont restés chez eux. Ce sont donc des agents des postes de quartier qui ont été appelés à contenir le grabuge.

«Les agents des postes de quartier, malgré tout leur bon vouloir, sont presque habillés comme vous et moi, avec un bâton et un casque», a-t-il déploré.

«Inévitable», selon l'administration Tremblay

L'administration Tremblay est quant à elle satisfaite de l'opération policière. Le responsable de la sécurité publique au comité exécutif, Claude Trudel, estime que la casse de mercredi soir était «inévitable» et invite les commerçants du centre-ville à mieux se protéger pour éviter d'être victimes des vandales à l'avenir.

«On a affaire à des casseurs professionnels, a-t-il déploré. J'ai suivi ça de très près, hier soir, et c'était évident qu'à un moment donné ça allait arriver.»

Appelé à donner des conseils aux commerçants qui craignent les vandales, M. Trudel leur a suggéré de faire confiance à la population ainsi qu'aux policiers. «Et si ça ne suffit pas, peut-être que, les soirs de victoire, on peut soi-même mieux surveiller son commerce», a-t-il ajouté.

Le premier ministre Jean Charest a également dénoncé les gestes commis mercredi soir. «Pour ce qui est des émeutes, c'est regrettable que des gens s'adonnent à des gestes comme ça, a-t-il déploré. C'est inacceptable et inexplicable. C'est de valeur parce que ça porte un peu ombrage à l'événement.»

Cinq accusés comparaissent

Cinq des quarante et une personnes arrêtées la nuit dernière ont comparu au palais de justice de Montréal, hier.

Parmi les accusés figure un homme du Wisconsin venu en vacances à Montréal, Travis De Wolfe. L'homme de 25 ans aura son enquête sous cautionnement ce matin puisque la Couronne s'est opposée à sa mise en liberté.

Au total, le ministère public s'est opposé à la mise en liberté de quatre des cinq accusés.

Martin Daoust Vilard est apparu dans le box des accusés menottes aux poignets, toujours vêtu d'un chandail du gardien de but du Canadien, Halak. L'homme de 26 ans, qui a déjà un dossier en cours pour possession de cocaïne, est accusé de voies de fait contre un certain Georges Stamatis.

Patrice Léveillée, 20 ans, est pour sa part accusé de voies de fait armées contre une femme, Nathalie Turcotte, ainsi que de non-respect de conditions. Ayant déjà une cause en cours devant les tribunaux, il ne devait pas consommer d'alcool ni posséder d'arme.

Enfin, deux autres accusés, Luis Yonathan Caisse, 22 ans, et Abdul Wali Hasimi Mir, 18 ans, ont été accusés de voies de fait contre des policiers du SPVM. Hasimi fait également face à une accusation de possession de souliers volés. Ce dernier a pu obtenir sa liberté sous conditions tandis que Caisse, qui est en attente de sa sentence pour une affaire de voies de fait ayant causé des blessures, est resté détenu.

Le SPVM examine les images tournées par les caméras de sécurité, et d'autres arrestations pourraient survenir dans les prochains jours.