Le patron de la Sûreté du Québec, Richard Deschesnes, est tellement «préoccupé» par l'infiltration du crime organisé dans l'économie légale, que lors d'une interview exclusive accordée à La Presse, il a révélé qu'il songe à créer un «task force» d'enquêteurs affectés à temps plein aux récentes allégations de corruption et de malversation à Montréal.

«De mémoire de policier», le directeur général de la SQ, qui compte 28 ans de carrière, n'a jamais vu autant d'enquêtes en cours sur des allégations de corruption dans la métropole. «On va prendre les mesures pour mener à bien ces enquêtes-là dans les délais les plus rapides, tout en étant conscient que ça ne prendra pas une semaine. Les gens ne nous pardonneraient pas de faire des enquêtes bâclées, rapides, qui ne mèneraient à rien», souligne le policier âgé de 49 ans, directeur de la SQ depuis un an.

En vertu de la loi sur la police, la SQ a la responsabilité unique d'enquêter sur les allégations de corruption et de malversation des fonctionnaires judiciaires, gouvernementaux ou municipaux. Le corps policier provincial mène actuellement cinq enquêtes touchant la Ville de Montréal. La plus ancienne, celle sur le contrat de construction du Centre intergénérationnel d'Outremont, a été ouverte il y a un an et demi.

«C'est clair que la SQ est préoccupée par l'infiltration du crime organisé dans l'économie légale. Ça inclut l'obtention de contrats par malversation, a indiqué le chef de police. J'ai demandé à mes gens des enquêtes criminelles de faire le nécessaire pour que ces enquêtes-là soient menées avec diligence, dans les règles, de façon à traduire devant les tribunaux ceux qui ont commis des infractions criminelles.»

La direction de la SQ évalue actuellement la charge de travail de ses enquêteurs de la division des crimes économiques. «Ce sont des enquêtes complexes, qui ne peuvent pas se faire rapidement. Elles nécessitent beaucoup d'analyses de documents, de rencontres de personnes. Disons qu'on a pas mal de dossiers. Nos gens sont très occupés présentement», résume ce chef reconnu pour être un spécialiste des opérations délicates.

La SQ compte environ 800 enquêteurs dans tout le Québec. De ce nombre, une soixantaine sont affectés aux crimes économiques. Une quarantaine d'autres forment un groupe spécialisé dans la criminalité fiscale organisée. «Ce n'est pas énorme, c'est sûr et certain. On évalue présentement où l'on va prendre des enquêteurs d'autres groupes pour leur donner un coup de main», dit M. Deschesnes, sans vouloir préciser combien d'enquêteurs sont affectés à l'heure actuelle aux dossiers montréalais.

Le chef de la SQ croit beaucoup aux «task forces», des équipes composées d'enquêteurs aux expertises complémentaires et chargées de résoudre un dossier précis. Le corps policier l'a fait dans le passé pour enquêter sur le scandale des commandites et les dépenses du lieutenant-gouverneur Lise Thibault, rappelle-t-il. Les récentes allégations concernant Montréal nécessitent-elles une telle équipe? «On pourrait penser ça», répond-il.

Un entrepreneur, Paul Sauvé, a récemment dénoncé dans La Presse l'intervention du crime organisé dans l'attribution des contrats à la Ville de Montréal. À la suite de ces révélations, la SQ a réactivé une ligne téléphonique, la semaine dernière, pour récolter des informations du public sur des actes d'intimidation, de violence et de corruption dans le milieu de la construction (1-800-659-4264).

«Au début de ma carrière, j'ai travaillé en région, sur la Côte-Nord notamment. On me disait souvent: "Un tel vend de la drogue, tout le monde le sait, pourquoi vous ne l'arrêtez pas?" "Tout le monde le sait", ce n'est pas une preuve quand tu arrives à la cour. Parmi "tout le monde", il faut trouver des témoins directs pour bâtir la preuve», illustre le chef de police.

Bien que certains élus ou ex-élus de Montréal aient dit ne pas avoir été interrogés par la police concernant des allégations de corruption, cela ne signifie pas qu'ils ne le seront jamais. Le chef de la SQ n'est pas autorisé à donner des renseignements sur les enquêtes en cours. Toutefois, fait-il remarquer, «c'est important quand on rencontre quelqu'un d'avoir en main toutes les informations nécessaires pour pouvoir le confronter. Dans certains cas, on fait une première rencontre préliminaire. On travaille les informations et on revient le voir pour des précisions. Dans d'autres cas, on va attendre à la fin de l'enquête. Chaque enquête a son plan», explique-t-il.