«Très préoccupée» par les révélations de La Presse sur l'intervention du crime organisé dans l'attribution des contrats à la Ville de Montréal, la ministre des Affaires municipales, Nathalie Normandeau demande à la police de «faire diligence» et de presser le pas pour aboutir rapidement dans les nombreuses enquêtes amorcées sur Montréal.

Avec la révélation d'une nouvelle enquête, «quand le dossier se retrouve dans les mains de la SQ, quand il faut monter jusque-là pour faire enquête, cela démontre qu'il y a des motifs sérieux...» estime Mme Normandeau. C'est le niveau d'intervention qui a été choisi aussi pour la Société d'habitation et de développement de Montréal, rappelle-t-elle.

Des sources policières ont confié à La Presse qu'il faudrait attendre septembre, voire octobre, pour que les enquêteurs arrivent à des conclusions dans ces dossiers montréalais.

Le maire Gérald Tremblay a souligné que c'était lui qui était le premier allé voir la police. «Alors partant de là, à partir du moment où j'ai été informé qu'il y avait des enveloppes brunes qui circulaient dans le monde municipal, j'ai agi, j'ai assumé mes responsabilités», a soutenu M. Tremblay, une diligence applaudie hier par le ministre responsable de Montréal, Raymond Bachand.

Pour la ministre Normandeau, «voir ainsi un entrepreneur comme Paul Sauvé, dirigeant de la firme de maçonnerie LM Sauvé, prendre la parole et témoigner de son expérience, c'est extrêmement inquiétant». «S'il y a des gens qui ont fait des fautes, ils seront punis. S'il y a un impératif qui s'impose, c'est qu'il faut faire la lumière le plus rapidement possible», souligne la ministre.

Elle ne souscrit pas au procès que Gérald Tremblay a fait à La Presse : «M. Tremblay a son opinion, il y a droit. Moi je ne commente pas le travail des journalistes... vous avez un travail à faire et le faites de façon professionnelle.»

La ministre avoue avoir «bien hâte de voir» les résultats des enquêtes. «Comme ministre des Affaires municipales, je dis publiquement que je souhaite que l'enquête procède rapidement. C'est un message à l'endroit du corps policier qui enquête. Quand le résultat sera connu, «nous (à Québec), on gouvernera en conséquence. S'il faut poser des gestes pour resserrer le processus d'octroi des contrats, on le fera», a-t-elle soutenu.

«C'est évident que quand on lit ce qui est rapporté, on ne peut pendre ça à la légère», reconnaît Mme Normandeau, dans un entretien accordé à La Presse. Même si les enquêtes policières semblent se multiplier sur l'administration montréalaise, la tutelle n'est pas indiquée, dit-elle clairement.

«Pas de tutelle»

«Montréal a été mis en tutelle deux fois dans son histoire, une fois en 1918, l'autre en 1940. Chaque fois, c'était lié à une crise financière à la Ville. Là on est dans un autre cas de figure», relève la ministre. D'autres villes ont été mises sous tutelle parce que l'appareil municipal était carrément paralysé, par des démissions en bloc, par exemple. «On ne parle pas de tutelle pour Montréal», réitère-t-elle.

Le premier ministre Jean Charest est plus prudent: «Force est d'admettre que les enquêtes se succèdent les unes après les autres. La Sûreté du Québec fait son travail depuis un bon moment. Elle a débuté il y a plusieurs mois. Pendant que ces enquêtes se poursuivent, on ne doit pas intervenir sur le plan politique», estime-t-il.

Comme Mme Normandeau, il ne croit pas qu'une mise en tutelle soit la réponse appropriée. En matière d'éthique, la ministre a déjà mis en branle la préparation d'un projet de code de déontologie avec les villes, dont Montréal, rappelle-t-il.

Pertinence d'une enquête publique

Selon le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, l'heure n'est pas encore venue pour Québec de décider si une enquête publique doit être déclenchée dans le secteur de la construction.

Il répondait à la chef de l'ADQ, Sylvie Roy, qui a repris les révélations de La Presse sur la pénétration du milieu de la construction par le monde interlope. Au moment où le gouvernement s'apprête à injecter 42 milliards de dollars dans la construction d'infrastructures publiques, Québec devrait, selon elle, aller vérifier en constituant une commission d'enquête publique pour mettre en lumière ce qui se passe dans l'industrie de la construction.

«C'est évident, tout le monde sait qu'il y a eu plusieurs perquisitions. Il y a des enquêtes policières, la meilleure façon d'entraver leur travail serait justement de créer une commission d'enquête publique», a soutenu M. Dupuis.

Pour lui, puisque les agents de la Sûreté du Québec sont des représentants du gouvernement «des agents de l'État», il est faux de soutenir que le gouvernement reste impassible devant ces allégations. «Quand ils enquêtent, quand ils font des perquisitions, quand ils donnent des dossiers au procureur de la Couronne, ils sont des agents de l'État. C'est parce que l'État travaille pour débarrasser la société de gens qui voudraient agir illégalement», a ajouté M. Dupuis.

Mme Roy signale que «d'autres gouvernements ont eu beaucoup plus de courage». «La commission Cliche en 1974 et la commission Gomery plus récemment se sont déroulées pendant des enquêtes policières. Ça n'a pas l'air de déranger le gouvernement que l'argent des contribuables profite au crime organisé.»

Ex-maire d'arrondissement et député péquiste, Martin Lemay trouve que les derniers rebondissements ne sont rien de bon pour la métropole. «C'est dommage pour Montréal; aucun élu, de quelque parti qu'il soit ne peut être content de voir de telles allégations», observe M. Lemay. Pas question de tutelle, selon lui, il faut attendre le résultat des enquêtes. «C'est plate parce que l'administration de Montréal et les Montréalais ont d'autres chats à fouetter.»