Un autre rapport du vérificateur général de la Ville de Montréal, rendu public hier à la demande de La Presse, révèle que le directeur général de la Ville, Claude Léger, avait été mis au courant des risques de perdre beaucoup d'argent en vendant les terrains du Faubourg Contrecoeur, mais il est quand même allé de l'avant.

Mardi, le maire Gérald Tremblay a affirmé que ni lui, ni les membres du comité exécutif, ni ses autres conseillers municipaux n'avaient été mis au courant des transactions controversées à la Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM) avant l'automne dernier.

Pourtant, dans son rapport rendu public hier, le vérificateur général rappelle que le responsable des transactions immobilières à la Ville, Joseph Farinacci, et d'autres hauts fonctionnaires s'étaient opposés aux clauses de la vente parce qu'ils estimaient qu'elles n'étaient pas à l'avantage de la Ville.

M. Léger était au courant de cette opposition. La question qui reste en suspens est donc celle-ci : en a-t-il fait part à son patron, Frank Zampino, au maire ou à d'autres membres du comité exécutif? Sinon, pourquoi? Les informations contenues dans le dernier rapport du vérificateur général ont incité le chef de l'opposition à l'hôtel de ville, Benoît Labonté, à réclamer le congédiement de M. Léger.

«Le maire de Montréal doit exiger le départ du directeur général Claude Léger pour le rôle qu'il a joué dans le scandale de la SHDM, a déclaré M. Labonté. On apprend en effet dans le dernier rapport du vérificateur général que M. Léger a négocié directement avec la SHDM sans impliquer la Direction des stratégies et transactions immobilières (la DSTI, dirigée par M. Farinacci). Le contenu des documents décisionnels était directement orienté par le directeur général.»

À l'automne 2006, la SHDM avait accepté une offre de Construction Frank Catania et Associés pour l'achat d'un grand terrain de la Ville de Montréal, situé rue Sherbrooke à l'est de l'autoroute 25, pour 19 millions de dollars. Mais elle était prête à soustraire des frais de 14,7 millions, parce que les sols étaient contaminés et parce qu'il fallait éventuellement prendre des mesures pour protéger les bâtiments à construire contre les vibrations provenant d'une carrière voisine.

Dans son rapport, le vérificateur Michel Doyon rappelle que «la DSTI s'est opposée à cette offre (d'achat), car, à son avis, les frais soustraits du prix de vente n'étaient pas suffisamment précisés et apparaissaient trop élevés. Par la suite, le directeur de la DSTI (Joseph Farinacci) a quitté l'emploi de la Ville de Montréal.

«Mentionnons que d'autres gestionnaires rencontrés ont également émis des doutes sur la justesse de l'estimation des coûts de décontamination et de contrôles vibratoires  », ajoute le vérificateur. Le directeur général de la Ville, Claude Léger, a alors directement négocié avec la SHDM.

«Selon les gestionnaires rencontrés, le sommaire décisionnel (document de base qui permet à la Ville de prendre des actions) a été rédigé en fonction des indications du directeur général et, selon eux, il reflète le rôle prédominant confié à la SHDM dans cette transaction par rapport au rôle effacé attribué à la DSTI.  »

Or, c'était justement le rôle de la DSTI et de son directeur, Joseph Farinacci, de conclure les transactions immobilières. L'automne dernier, M. Farinacci a révélé à La Presse qu'il avait démissionné, en mars 2007, parce qu'il s'opposait précisément à la transaction sur le Faubourg Contrecoeur.

Il a constamment contesté la façon de gérer la vente du Faubourg Contrecoeur, dans des réunions avec des intervenants politiques et professionnels. Début 2007, il a refusé de recommander la transaction telle qu'elle lui avait été suggérée, en notant que la Ville allait subir un manque à gagner substantiel. Il a expliqué ses appréhensions à ses supérieurs, dont M. Léger et Frank Zampino, président du comité exécutif.

M. Farinacci affirme que M. Zampino était très au courant de tout le dossier du Faubourg Contrecoeur. Dans leur propre rapport déposé mardi, les vérificateurs de la firme d'audit Deloitte, qui ont examiné cette transaction, révèlent ceci : «Cinq directeurs et ex-directeurs de la SHDM nous ont mentionné que Martial Fillion (alors directeur de la SHDM) affirmait consulter, lorsque nécessaire, Frank Zampino... et Paolo Catania, président de Catania.  »

L'automne dernier, en réponse à une question de La Presse, le maire Gérald Tremblay avait reconnu qu'il savait que M. Farinacci s'était opposé à la transaction, mais il n'avait pas précisé depuis quand il le savait. Hier, il a été impossible d'obtenir des commentaires du maire ou de M. Léger sur le dernier rapport du vérificateur général et sur la demande de congédiement faite par M. Labonté en fin d'après-midi.

Hier matin, le vérificateur Michel Doyon n'a pas voulu dire pourquoi il n'avait pas déposé ce rapport au conseil municipal, en même temps que son rapport sur les transactions de la SHDM. C'est La Presse qui a révélé l'existence de ce rapport, lors de la conférence de presse de M. Doyon, mardi. Visiblement embarrassé, M. Doyon s'est alors engagé à le rendre public, ce qui a finalement été fait hier après-midi.