Après l'affaire des compteurs d'eau et des voyages de Frank Zampino avec le promoteur Tony Accurso, l'administration du maire Tremblay est maintenant éclaboussée par l'affaire de la Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM). Un fiasco qui coûte cher aux Montréalais, nous apprennent deux rapports de vérification rendus publics hier. La Sûreté du Québec enquêtera à ce sujet.

Le rapport du vérificateur général de Montréal, Michel Doyon, et celui de la firme Samson Bélair/Deloitte&Touche (Deloitte), rendus publics hier, concluent que la gestion de la SHDM effectuée en 2007 et 2008 par l'ex-chef de cabinet du maire Tremblay, Martial Fillion, a été un véritable fiasco. Elle aura coûté des dizaines de millions aux contribuables montréalais.

 

Le maire Tremblay a compris que l'heure était grave hier. Lorsqu'il a réagi aux conclusions de ces rapports, en conférence de presse, il a jugé que la gestion faite sous la direction de Martial Fillion était «inadmissible».

S'agit-il d'un cas d'incompétence? Y a-t-il d'autres explications à ce fiasco? Si on l'ignore encore, l'ampleur du désastre a convaincu le maire de demander à la nouvelle direction de la SHDM de prendre contact avec la police, tel que recommandé par M. Doyon. C'est donc la Sûreté du Québec qui enquêtera à ce sujet, plutôt que le Service de police de la Ville de Montréal, afin d'assurer la plus grande transparence possible.

Contrairement au rapport Doyon, qui a fait le tour des activités de la SHDM pendant près de deux ans, le rapport Deloitte porte spécifiquement sur le projet immobilier du Faubourg Contrecoeur, dans l'est de Montréal. Le rapport blâme sévèrement Martial Fillion, congédié en décembre, mais aussi son adjoint, Jean-François Bertrand, qui vient de quitter ses fonctions, et même les ex-membres du conseil d'administration de la SHDM, qui ne péchaient pas par curiosité.

Il révèle qu'aucune analyse de rentabilité du projet Contrecoeur n'a été faite pour la SHDM, car Martial Fillion «disait toujours de ne pas s'inquiéter, car la Ville était derrière eux et que tout irait bien. Le prêt de 15 800 000$ serait remboursé par la Ville par l'entremise de sa contribution annuelle».

Le rapport est très dur vis-à-vis de M. Bertrand. Une page entière décrit ses faits et gestes et les place en contradiction avec ce qu'il prétend avoir fait. «Nous ne pouvons conclure sur la véracité de ses propos», lit-on dans le rapport qui indique que, de juin 2006 à mai 2008, Jean-François Bertrand a approuvé des factures sans contrat totalisant plus de 500 000$ sans autorisation écrite de la directrice des finances ou du directeur général.

Une filiale de Dessau blâmée

Le rapport est également cinglant envers le Groupe Gauthier Biancamano Bolduc (GGBB), filiale de Dessau mandatée en mai 2006 par la SHDM pour élaborer le plan de mise en oeuvre du projet Contrecoeur. On lui reproche notamment d'avoir mal révisé son plan d'affaires. Ses erreurs et ses omissions ont eu pour conséquence de sous-estimer «des flux monétaires du projet» d'environ 14,5 millions.

Beaucoup plus grave et lourd de conséquences, la filiale de Dessau a aussi détruit, sans la permission de la SHDM, des documents importants, notamment des propositions d'entrepreneurs reçues en réponse à l'appel de qualification. Elle a effectué des travaux de plus de 450 000$ qui n'ont pas fait l'objet de contrats écrits. Et «ni le conseil d'administration ni le comité de vérification ne semblent avoir été mis au courant du fait que certains mandats avaient été octroyés sans contrat», indique le rapport.

GGBB avait eu «carte blanche» quant à l'attribution des contrats de services professionnels. «Plusieurs contrats ont été signés à la même date et avec le même fournisseur sans motif documenté, ce qui n'est pas conforme à l'article 573 de la Loi sur les cités et villes», dit Deloitte.

Sélection de Catania

Le rapport met aussi en doute «la transparence et l'intégrité du processus de sélection» mené pour choisir Construction Frank Catania et associés inc. (Catania) pour développer Contrecoeur. D'abord, les délais accordés aux soumissionnaires pour déposer leur proposition en réponse à l'appel de qualification et à l'appel d'offres, respectivement de 14 et de 22 jours, ont été très courts, considérant l'ampleur du projet, la nature des travaux à effectuer et l'acquisition du terrain.

Deloitte révèle aussi que Martial Fillion a rencontré Catania à au moins quatre reprises avant la publication de l'appel de qualification destiné aux entrepreneurs, mais aussi après, soit avant l'appel d'offres. Catania a ensuite été choisi, et le premier contrat avec Catania a été signé avant même la publication du rapport de l'Office de consultation publique de Montréal. «Il existait donc un risque que le scénario retenu connaisse des changements, et que ces changements aient des conséquences financières», lit-on dans le rapport.

Catania est aussi blâmé pour ne pas avoir respecté une série d'ententes et d'engagements. Le rapport indique que la SHDM aurait dû demander que les caractérisations environnementales supplémentaires soient effectuées avant de demander à une firme d'évaluer les coûts de décontamination. Il ajoute que Catania s'était engagé à décontaminer le site en déposant son offre de qualification, le 5 décembre 2006. Mais Catania demandait à la SHDM un prêt de 14,6 millions pour ce faire.

Le rapport précise que, selon un avis juridique émis le 16 mars 2009, «la SHDM n'avait pas le droit d'accepter de verser une aide financière de 15,8 millions à Catania. La SHDM a contrevenu à son engagement contractuel et a manqué à ses obligations envers la Ville. Cependant, ceci n'affecte pas la validité de son engagement envers Catania.»

GGBB a dit à Deloitte que «la SHDM avait eu une demande de la Ville d'accélérer le projet pour que 100 unités soient terminées avant les élections municipales de 2009».

Selon Deloitte, la SHDM aurait perdu près de 5 millions dans le dossier Contrecoeur. La SHDM a aussi payé quatre factures totalisant 226 308$ qui auraient dû, selon le rapport, être payées par Catania. Deloitte estime que la SHDM devrait récupérer cet argent «et revoir l'ensemble de ses débours afin de s'assurer qu'il n'y a pas d'autres dépenses qui auraient dû être payées par Catania». La Presse a laissé un message à André Fortin, vice-président de Catania. Il n'a pas rappelé.

Le rapport de Samson Bélair/Deloitte&Touche est disponible à www.shdm.org.

 

DÉVELOPPEMENT DU SITE DU FAUBOURG CONTRECOEUR

EXTRAITS DU RAPPORT DE DELOITTE

«Nous avons noté plusieurs similitudes entre le plan d'affaires et la soumission de Catania.»

«Plusieurs documents pertinents ont été détruits (par la filiale de Dessau, Groupe Gauthier Biancamano Bolduc).»

«Des travaux d'une valeur de plus de 450 000$ ont été confiés à la firme GGBB sans contrats écrits ou appels d'offres.»

«Aucun (membre de la direction) n'a pu nous préciser qui exerçait le contrôle sur les coûts.»

«La SHDM avait eu une demande de la Ville de Montréal d'accélérer le projet pour que 100 unités soient terminées avant les élections municipales de 2009.»

«Les raisons pour lesquelles la SHDM a opté pour un seul entrepreneur (...) ne sont pas claires.»