Le projet qui vise l'installation de compteurs d'eau dans les entreprises de Montréal a franchi un point de non-retour. Malgré un retard de plus d'un an dans l'échéancier et les doutes soulevés par l'opposition municipale quant à l'apparence de conflit d'intérêts, l'administration Tremblay a signé un important contrat de 355 millions de dollars avec le consortium Génieau au mois de février 2008, a appris La Presse.

Génieau est formé par les firmes Simard-Beaudry et Dessau, entreprise dont le nouveau numéro 2 est Frank Zampino, ancien président et grand responsable des finances au comité exécutif de la Ville de Montréal.

Le contrat, qui lie la Ville à Génieau pour 25 ans, est unique au Canada, voire au monde. Étant donné sa complexité, la Ville de Toronto y a même renoncé après l'avoir étudié. Dans sa forme, il se rapproche de la formule PPP : une clause prévoit que le consortium veillera à l'entretien du réseau de compteurs pendant 25 ans et à la réparation des appareils pendant 15 ans (ce qui correspond à leur durée de vie).

Sammy Forcillo, responsable de ce dossier au comité exécutif de l'administration Tremblay, précise que le gouvernement du Québec a passé le contrat au peigne fin avant d'en approuver la signature. Il respecte donc tous les cadres juridiques.

«La Ville demeure maître d'oeuvre du projet, qui vise d'abord et avant tout à acquérir des mesures de la consommation d'eau à Montréal. Ce n'est pas un contrat à sens unique, ajoute Sammy Forcillo, on demeure propriétaire des compteurs d'eau.»

Le 30 janvier dernier, plus de 5000 entreprises de Montréal ont été avisées qu'un plombier passerait bientôt chez elles. À cette fin, plus de 100 plombiers ont déjà été formés et accrédités par la Ville. «La prochaine étape consiste à former les cols bleus, explique Louis Provencher, chef du projet à Montréal. On y va tranquillement, mais efficacement, en s'assurant que tout est fait dans les règles de l'art.»

Signe que l'installation des compteurs a vraiment franchi un point de non-retour, des techniciens ont déjà visité plus de 1000 commerces, industries et entreprises de l'agglomération afin d'expliquer les tenants et aboutissants de l'installation.

Si l'administration municipale se porte garante de l'achat des compteurs d'eau (300 millions de dollars) et des systèmes antirefoulement devenus obligatoires (78 millions), les entreprises devront pour leur part payer les coûts de la mise à niveau de leur tuyauterie. Selon la taille des conduites, les propriétaires, qui sont au nombre de 30 000 à Montréal, recevront une facture de 3000 à 20 000 dollars. Les entreprises pourront toutefois demander une subvention ; une somme d'environ 115 millions est prévue à cette fin.

L'objectif de Montréal, pour 2009, est d'installer 7000 compteurs d'eau. Selon ce qu'a appris La Presse, les propriétaires se verront facturer leur consommation au mètre cube, probablement entre 1,20 et 1,60 dollars, chiffres que Montréal n'a pas confirmés. Mais au-delà des compteurs, l'objectif ultime de la Ville est de parvenir à expliquer où va l'eau qui fuit à Montréal. Selon les données recensées, 40% de l'eau qui passe dans les conduites est perdue - assez pour approvisionner tout Paris.

À la Société de développement commercial (SDC) du centre-ville, qui représente des milliers de commerçants, André Poulin, directeur général, estime qu'il est difficile d'être contre la vertu, mais il fait remarquer que les hôtels et les restaurants pourront difficilement réduire leur consommation s'ils veulent assurer un bon service à la clientèle.

«C'est certain qu'on ne saute pas de joies, ajoute M. Poulin. On se pose des questions. Et on surveille de près le projet même si, pour l'instant, on n'a pas été consulté.» À Montréal, 7000 grands consommateurs d'eau sont déjà munis de compteurs. C'est le cas de Molson, de Sucre Lantic et de Johnson & Johnson. Leurs installations devront cependant être mises aux normes et adaptées aux nouveaux compteurs. À titre informatif, la Ville a créé un lien internet pour les entreprises: www.compteursdeau.com.