L'année dernière, Joseph Farinacci était le chef des experts de l'immobilier à la Ville de Montréal. Il voulait demander le prix fort pour céder un grand terrain appartenant à la Ville, connu sous le nom de Faubourg Contrecoeur. Il refusait de le vendre par l'entremise de la SHDM à une fraction de sa valeur. L'administration Tremblay-Zampino a rejeté son avis. Le lien de confiance était rompu, il a quitté ses fonctions. Aujourd'hui, il témoigne.

Joseph Farinacci était le grand patron du service des transactions immobilières à la Ville de Montréal. Hier, il est sorti de son mutisme. Il a déclaré qu'il avait quitté ce poste en mars 2007 parce qu'il s'opposait à la vente du Faubourg Contrecoeur à la SHDM, la Société d'habitation et de développement de Montréal.

 

Le terrain, qui appartenait à la Ville, était évalué à 23,5 millions de dollars. La Ville l'a vendu à la SHDM contre l'avis de M. Farinacci au prix de 1,6 million. La SHDM l'a ensuite revendu à Construction Frank Catania pour 4,4 millions, une fois soustraits les débours pour d'hypothétiques frais de décontamination et autres coûts.

«J'ai quitté mon poste en tant que directeur de service de stratégie et de transactions immobilières, parce que je n'acceptais pas de me faire contourner suite à mon refus de recommander la transaction suggérée pour le terrain Contrecoeur, entre la Ville et la SHDM», a dit M. Farinacci, hier, en lisant une déclaration écrite.

Alors dirigée par le président du comité exécutif de la Ville, Frank Zampino, et son proche collaborateur, Claude Léger, qui est toujours directeur général de la Ville, «l'administration a fait cheminer le dossier en passant outre à ma mise en garde», a ajouté M. Farinacci, qui supervisait un service d'une quarantaine de personnes.

«Les meilleures pratiques transactionnelles mises en place par mon groupe n'étaient pas respectées. Plus précisément, je n'étais pas d'accord que la transaction se fasse sans que mon groupe négocie sur la base d'un prix maximum potentiel du terrain, sur le montant de la contamination à déduire et sur les autres faits imputables au terrain. Mon groupe voulait assurer l'optimisation de la valeur pour la Ville.»

Un bon vendeur cherche à obtenir le meilleur prix, a souligné M. Farinacci, qui était prêt à demander plus que le montant de l'évaluation municipale de 23,5 millions. Il est normal que l'acheteur cherche à faire baisser le prix en faisant valoir, par exemple, que le terrain est en partie contaminé. Mais il faut alors chercher à savoir si la contamination est importante ou non, a-t-il dit.

Officiellement, la SHDM a vendu le terrain à Catania pour 19 millions, mais elle a soustrait des frais de décontamination de 11 millions sans avoir analysé les sols de façon complète, comme le suggéraient pourtant ses propres experts. Elle a soustrait une deuxième somme de 3 millions parce que les vibrations provenant de la carrière voisine rendaient supposément nécessaire le renforcement des fondations. Or, les plans montrent que les bâtiments sont construits hors des zones de vibration problématiques.

Enfin, la SHDM a soustrait une troisième somme de 650 000$, correspondant au coût d'un talus à ériger entre le terrain et la carrière. Le prix final est donc tombé de 19 à 4,4 millions, payables en juin 2010, une fois soustraits des débours totaux de 14,6 millions.

«Le montant de la contamination à déduire était basé sur un estimé préliminaire des volumes des sols contaminés, a dit M. Farinacci. Une meilleure caractérisation des sols, ainsi qu'une révision du plan de développement, aurait probablement réduit le montant de la contamination, et donc le montant des débours.

«Même chose pour les vibrations, l'étude ayant conclu qu'il y avait peu de problèmes. Ces deux montants ont été déduits du prix de vente sans que mon groupe puisse faire son possible pour les réduire au maximum. Le fait que la transaction a continué de cheminer malgré mon désaccord m'a contraint à quitter.

«Une autre raison pour laquelle j'ai quitté la Ville, c'est que j'avais réussi mon mandat et complété l'ingénierie organisationnelle du groupe de transactions, ainsi que la mise en place des meilleures pratiques. Je l'avais réussi, c'était fait.

«Je crois que pour diminuer le manque potentiel de transparence ou de perception de manque de transparence, il y a lieu de revoir la gouvernance transactionnelle à la Ville, c'est-à-dire la façon avec laquelle la Ville fait cheminer les transactions immobilières. Je travaillais sur ce dossier avant de quitter. J'espère que quelqu'un va continuer de revoir la situation.»

M. Farinacci était directeur du développement immobilier à Cadim, filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec, avant d'aller diriger le service de transactions immobilières à la Ville de Montréal en 2004. Au cours de son enquête, La Presse a pu constater qu'il jouissait d'une très bonne réputation auprès de ses employés. Depuis son départ de la Ville, M. Farinacci travaille dans le secteur privé.

Nous avons demandé au maire Gérald Tremblay, hier, s'il savait que M. Farinacci était parti parce qu'il était en désaccord sur la façon de vendre le terrain du Faubourg Contrecoeur. «Je sais qu'il y avait une divergence d'opinions entre la direction de la Ville et l'interprétation que M. Farinacci en faisait», a-t-il répondu, refusant d'en dire davantage.