Depuis six mois, le gouvernement a en main un rapport interne qui lui recommande de procéder rapidement à la réfection de l'échangeur Turcot, dont des structures «pourraient poser des problèmes de sécurité pour les usagers», selon les auteurs.

Pour ce projet titanesque de plus de 1 milliard de dollars, l'étude commandée par l'Agence des partenariats publics privés recommande de procéder par PPP, pour économiser plus de 100 millions, une formule qui permettrait de procéder plus rapidement, avec moins de risques. Mais Transports Québec voit les choses autrement.Selon les informations obtenues par La Presse, le gouvernement Charest veut confier ce mandat gigantesque à SNC-Lavalin, la firme montréalaise qui a jusqu'ici été laissée pour compte dans les convoités mandats de l'autoroute 30 et du prolongement de la 25.

Or, confient des sources proches du dossier, la firme préfère exécuter ce mandat en mode conventionnel, plutôt qu'en PPP.

Comme le gouvernement a en main un rapport de PricewaterhouseCoopers, qui démontre plutôt les avantages d'un partenariat public-privé, le gouvernement tergiverse depuis six mois - l'étude de 100 pages remonte au 11 avril dernier.

Interventions quasi quotidiennes

La description de l'échangeur faite dans le «dossier d'affaires initial», identifié comme «confidentiel» et que La Presse a obtenu, donne froid dans le dos.

L'ouvrage, qui date de 1967, est frappé de «vieillissement prématuré» et affligé «d'une conception maintenant désuète». Le ministère québécois des Transports a dû faire «de façon urgente des interventions répétées et onéreuses sur les infrastructures» de Turcot.

Surtout, «plusieurs structures du complexe Turcot sont en mauvais état et pourraient poser des problèmes de sécurité pour les usagers». De plus, des «lacunes géométriques» - des pentes trop fortes ou des angles de virages trop serrés - «ont été repérées» et «plusieurs tronçons autoroutiers présentent de taux d'accidents supérieurs aux taux critiques», observe l'étude.

Transports Québec est si inquiet qu'en février dernier, on a accordé un contrat de 1,5 million par année, pendant 10 ans, à un consortium formé par SNC, Dessau-Soprin et Cima, pour inspecter régulièrement la structure. Des interventions quasi quotidiennes ont indiqué d'autres sources à La Presse. «On a décidé d'accompagner la structure», se contente de dire Daniel Desharnais, porte-parole de la ministre des Transports, Julie Boulet.

L'été dernier, Transports Québec a décidé de fermer certaines voies en faisant passer les véhicules au centre de la chaussée. Ces réparations avaient démarré subitement après qu'en juillet, un nid-de-poule de près d'un mètre fut apparu dans la chaussée. Transports Québec avait soutenu alors que la structure n'était pas en cause. Plus tard, un morceau de béton de plusieurs centaines de kilos s'était détaché de la structure pour tomber dans un stationnement. Depuis, on a installé des grilles de métal pour empêcher d'éventuels débris de tomber sur les automobilistes.

Hier, Hughes Delaney, de l'Agence des PPP, a confirmé l'existence de l'étude sans vouloir discuter son contenu. Interrogé sur les précédents, il observe que Québec avait mis un peu plus de deux mois avant d'opter pour le PPP dans le cas de la 25 après avoir reçu le dossier d'affaires commandé par l'Agence. Dans le cas de la 30, le délai avait été de cinq mois, pour permettre à Ottawa d'organiser son cofinancement.

Froid entre Boulet et Jérôme-Forget

Les tergiversations du ministère des Transports dans ce dossier névralgique ont causé un froid entre Monique Jérôme-Forget et la titulaire des Transports, Julie Boulet. « Comment ça se fait qu'on n'a pas pris de décision ? Faudrait demander peut-être à Mme Boulet, c'est elle qui a le dossier. Moi, je suis très favorable aux PPP », a dit Mme Jérôme-Forget relancée par La Presse. Elle connaît l'étude de PricewaterhouseCoopers, mais celle-ci n'a pas fait l'objet d'un mémoire au Conseil des ministres.

En fait, la situation reflète surtout le peu d'empressement du cabinet de Jean Charest à procéder en PPP. Depuis le départ de l'ancien stratège du Parti libéral du Québec, Pierre Anctil, de la vice-présidence de SNC-Lavalin, c'est Jacques Lamarre, le grand patron, qui multiplie les coups de fil auprès de tous les décideurs, pour s'assurer que sa firme aurait finalement ce mandat, a-t-on appris. M. Lamarre n'a pas rappelé La Presse.

L'étude de Pricewaterhouse-Coopers soutient que le choix d'un PPP permettrait une «concurrence plus vive» entre les firmes pour l'obtention du mandat. Six bureaux pourraient participer à un consortium pour un partenariat public-privé, mais si le gouvernement choisissait un mode conventionnel de construction, seulement trois groupes au maximum se feraient concurrence. «Globalement, une concurrence moins intense devrait se traduire en un coût plus élevé», constate l'étude.

En dollars de 2008, avec un coût de financement de 6,5 % (le chiffre proposé par les Finances) le projet en PPP coûterait 1,2 milliard au gouvernement contre 1,3 milliard en mode conventionnel, incluant l'entretien sur 35 ans, dans les deux scénarios. Avec un coût de financement de 8 %, l'avantage des PPP atteint 200 millions.

Mais l'avantage à court terme pour les firmes de convaincre Québec de s'en tenir au mode conventionnel est très clair. En cas de pépin, les conséquences financières pour la firme ne peuvent dépasser 10 % de la valeur du contrat pour un projet conventionnel, tandis que le privé doit assumer le risque sur la totalité de l'investissement en PPP.