Alors que tous les yeux sont tournés vers les algues bleues, une autre espèce d'algue, d'origine japonaise, cause tout autant de soucis dans le golfe du Saint-Laurent. 

Surnommée «voleuse d'huîtres», l'algue Codium fragile menace les stocks de homards dans l'Atlantique, la mariculture dans le golfe, et bouleverse les berges des Maritimes et des Îles-de-la-Madeleine.«Nous essayons de voir la limite de distribution de l'espèce au nord et dans l'estuaire», explique Annick Drouin, étudiante au doctorat de l'Université Laval.

«En Europe, elle va jusqu'à des latitudes plus nordiques que les nôtres. Mais on espère qu'elle ne s'installera pas sur la Côte-Nord, où la température va rarement jusqu'à 10 degrés l'été. On fait des tests de croissance en labo. Jusqu'à maintenant, les résultats sont un peu épeurants: Codium fragile pousse très bien en eau froide.»

L'algue est d'abord passée en Europe à la fin du XIXe siècle, puis en Amérique du Nord après la Deuxième Guerre mondiale. Depuis, elle progresse lentement vers le nord. Dans les années 70, elle est arrivée dans le Maine. Les scientifiques pensaient que les eaux froides de la baie de Fundy l'arrêteraient, mais elle a fini par arriver au Canada à la fin des années 80, puis dans le golfe au milieu des années 90.

«En Nouvelle-Écosse, des forêts d'algues laminaires ont été complètement remplacées par le Codium fragile, dit Mme Drouin. Pour tous les animaux qui étaient habitués à cet habitat particulier, qui était très en hauteur, c'est un très grand chambardement. Il y en a aux Îles-de-la-Madeleine depuis 2003. Les herbiers marins pourraient y être bouleversés, la zostère marine pourrait notamment disparaître.»

L'algue japonaise doit son surnom à une croissance exubérante qui parvient à emprisonner des bulles d'oxygène issues de la photosynthèse. Cela lui permet de flotter et de déplacer les mollusques auxquels elle est attachée.

À l'Île-du-Prince-Édouard, environ 10% des récoltes d'huîtres sont perdues de cette façon. Pour éviter le pire, Pêches et Océans et le Regroupement des mariculteurs du Québec ont demandé dès 2004 aux plaisanciers de nettoyer la coque et les accessoires de leurs bateaux à l'eau douce après avoir effectué un périple au sud des Îles.

«Elle peut menacer d'autres espèces, comme les moules, en vidant des zones côtières de leurs nutriments, ce qui fait péricliter le phytoplancton dont les mollusques se nourrissent», explique David Garbary, un biologiste de l'Université Saint-François-Xavier, en Nouvelle-Écosse, qui a été le premier à découvrir Codium fragile dans le golfe.

«Et dans l'Atlantique, les algues traditionnelles sont victimes des changements climatiques et d'animaux invasifs et Codium fragile prend leur place. Comme elle pousse en rangs très serrés, ça empêche les homards de s'y cacher. Personne n'a démontré que les populations de homards en souffrent, mais c'est certain que ça leur cause un stress.»

Le biologiste néo-écossais n'est pas des plus pessimistes.

«Je pense que les espèces sauvages vont apprendre à concurrencer et à se nourrir de Codium fragile. Aux endroits où l'algue japonaise s'est manifestée en premier en Nouvelle-Écosse, les quantités ont atteint un pic voilà cinq ans, et déclinent depuis.»