Les grandes pétrolières ont mené une intense campagne de lobbyisme dans les semaines qui ont précédé la campagne électorale fédérale, accaparant les ministres les plus influents du gouvernement Harper ainsi que les employés du bureau du premier ministre.

Selon une compilation dressée par La Presse, les géants du secteur pétrolier comme Petro-Canada, Esso et Shell ont même réussi à monopoliser plus de la moitié de toutes les réunions qu'ont eues certains ministres au cours des mois de juillet et août. Les experts et les environnementalistes consultés font un lien direct entre ces rencontres et certaines actions du gouvernement Harper, tels l'allègement des réglementations environnementales et le lobbyisme mené l'été dernier aux conventions républicaines et démocrates. Cinq ministres ont alors fait valoir les mérites des sables bitumineux.

«Le lobby du pétrole a toujours été proche du gouvernement, mais avec l'exploitation des sables bitumineux, il est évident qu'on atteint un degré de lobbyisme sans précédent», estime Pierre-Olivier Pineau, spécialiste de l'énergie à HEC Montréal.

Ainsi, entre le 2 juillet et le 31 août derniers, le ministre de l'Industrie, Jim Prentice, a eu 21 rencontres avec des entreprises et des groupes de pression divers. De ce nombre, plus de la moitié (11) touchaient le secteur pétrolier

À elle seule, la compagnie Imperial Oil (Esso) a eu droit à quatre rencontres avec le ministre de l'Industrie, dont trois en une seule semaine. D'autres groupes et entreprises, comme l'Association des producteurs pétroliers, EnCana ou encore TransCanada, qui transporte des hydrocarbures par pipeline, ont aussi rencontré le ministre.

Son collègue des Ressources naturelles, Gary Lunn, n'est pas en reste : des 10 rencontres qu'il a eues avec des lobbyistes au cours de la même période, six touchaient l'industrie pétrolière (deux des réunions ont été tenues conjointement avec M. Prentice). Suncor, Chevron et Imperial Oil étaient notamment représentées dans ces rencontres.

Si le premier ministre Harper n'a pas assisté personnellement à ces réunions, il en va tout autrement des employés de son cabinet. Bien que l'énergie ne soit qu'un sujet parmi d'autres pour eux, 10 des 53 rencontres qu'ils ont eues avec des lobbyistes concernaient l'industrie pétrolière. Shell, Petro-Canada et Irving Oil étaient notamment représentées.

Oreille attentive

Pour Matthew Bramley, de l'institut albertain Pembina, ces rencontres à répétition sont inquiétantes, mais elles n'ont rien de bien surprenant. Elles confirment tout simplement que le gouvernement prête une oreille très attentive aux doléances des grandes pétrolières.

«Dans la plus récente proposition de réglementation du gouvernement Harper, note-t-il, les exploitants des sables bitumineux ont obtenu des allègements supplémentaires. Au moins 30% des émissions du secteur pétrolier seraient exemptées de ces règlements, et les autres n'auraient pas d'obligations significatives avant 2018.»

D'autres experts consultés ont noté que cette campagne de lobbyisme intensif a suivi de près le dévoilement du Tournant vert de Stéphane Dion, à la mi-juin, en plus de précéder les voyages aux États-Unis des ministres Tony Clement, Lawrence Canon, Peter Van Loan, Stockwell Day et Diane Finley, à la fin du mois d'août.

Alors que ces deux derniers ministres ont assisté à la convention républicaine, MM. Clement, Canon et Van Loan ont rencontré la garde rapprochée du candidat démocrate, Barack Obama. Pour justifier sa présence à Denver, le ministre Clement avait dit au Toronto Star : «Il nous faut mieux présenter notre message, faire connaître la valeur des sables bitumineux.»

Selon Matt Price, de l'organisme Environmental Defence, il est évident qu'il y a un lien entre le lobbyisme des pétrolières et celui mené par le gouvernement Harper. «Les pétrolières font beaucoup de pressions auprès du gouvernement canadien pour qu'il convainque les Américains de laisser tomber la clause du plus récent Energy Bill les concernant», explique-t-il.

Rappelons que l'administration Bush a ratifié l'an dernier l'Energy Independence and Security Act of 2007, qui interdit aux agences fédérales d'acheter tout carburant dont la production émet trop de gaz à effet de serre, comme celui provenant des sables bitumineux.

Les détails des rencontres qu'ont eues lobbyistes et ministres se trouvent sur le site internet du Commissariat au lobbying du Canada, un nouvel organisme né en juillet dernier. Les lobbyistes doivent enregistrer chaque mois les réunions qu'ils ont eues avec le gouvernement ou avec ses représentants.

Ni le cabinet du premier ministre ni celui du ministre Lunn n'ont rappelé La Presse. Quant au cabinet du ministre Prentice, sa porte-parole, Christiane Fox, a répondu laconiquement par courriel : «En tant que ministre de l'Industrie, le ministre Prentice a une responsabilité de rencontrer les intervenants des différents secteurs de l'économie, incluant le secteur du pétrole.»

- Avec la collaboration de William Leclerc