Un après-midi de canicule, une dizaine de personnes se pressent autour de «l'unité d'urgence» de l'Armée du Salut, qui distribue des repas gratuits aux sans-abris, à deux pas de l'hôtel de ville de Fort McMurray.

Devant le guichet de la camionnette blanche, on distingue quelques visages ravagés de toxicomanes. Mais aussi des travailleurs bien mis qui règlent leurs affaires au cellulaire en attendant leur tour.

 

Parmi eux, il y a Carey Nutbey, opérateur de machinerie lourde originaire de Thurso, en Outaouais. Cheveux noirs, lunettes fumées, il cherche un coin où s'asseoir pour manger son hamburger et son bol de fèves.

Carey Nutbey travaille sur le site de Suncor, la première mine au nord de Fort McMurray. Cinq jours par semaine, 12 heures par jour, il charrie du sable gorgé de bitume. Le matin, dès l'aube, il monte à bord de l'un des autobus qui sillonnent la ville pour cueillir les travailleurs qui attendent aux principales intersections, leur boîte à lunch à la main. Ils reviennent 12 ou 14 heures plus tard, avec juste assez d'énergie pour attraper un repas dans un casse-croûte et s'affaler jusqu'au lendemain matin.

Le travail est dur, mais Carey Nutbey est content de son sort: il conduit «les plus grosses machine qu'il n'y a pas sur Terre» et gagne 100 000$, avant les heures supplémentaires. Pourtant, il lui arrive de dormir dans son auto, quand il ne profite pas d'un lit dans un refuge.

«Pour louer un appartement, il faut donner un dépôt équivalent à un mois de loyer», explique-t-il. Or, à Fort McMurray, une chambre dans un sous-sol coûte facilement 1500$ par mois. En attendant d'amasser de quoi assurer son premier mois de loyer, Carey Nutbey gonfle les rangs des sans-abri.

Il n'est pas le seul. Cette ville industrielle située à 400 km au nord d'Edmonton figure parmi les plus riches du Canada. Mais le coût de la vie est à l'avenant. Résultat: des milliers de personnes doivent se loger avec les moyens du bord.

Le phénomène des travailleurs sans abri est tellement courant que l'un des deux refuges de la ville, le Marshall House, demande 100$ par semaine à ses «locataires» dès qu'ils ont trouvé un boulot. Tout ça pour des lits durs, cordés en rangées.

La vie dans une roulotte

Jeff et Amanda sont arrivés de Terre-Neuve il y a deux ans. Elle a 23 ans, lui 27. Elle travaille comme agent de sécurité à l'aéroport, lui dans un chantier de construction. Pour eux, les loyers de Fort McMurray sont hors de prix.

Il y a un an, le jeune couple a acheté une caravane qu'il a installée dans un camping à l'entrée de la ville. Ne cherchez pas de vacanciers ici: il n'y en a pas. Que des travailleurs attirés par le Klondike du pétrole.

Le loyer n'est pas donné. Jeff et Amanda paient 790$ par mois, en plus de rembourser l'emprunt qu'ils ont contracté pour acheter leur maison mobile. Au moment de notre rencontre, Jeff s'apprêtait à construire une «jupe» en bois autour de la caravane, afin de la préparer pour l'hiver. Car la vie en caravane peut être amusante en été, un peu moins quand il fait -40ºCelsius. «Le plus dur, c'est de devoir faire nous-mêmes notre vidange d'eau», confie Jeff, qui est révolté par les prix des loyers à Fort McMurray. «Je suis sûr que, si je voulais, je pourrais louer même ce matelas», ironise-t-il en montrant un cagibi muni d'une couchette supplémentaire. Mais au moins, pour l'instant, Jeff et Amanda ont un endroit où habiter. Car dès l'année prochaine, le camping cédera la place à des condos...