Mine de rien, la plus petite des grenouilles au Québec vient de remporter en quelque sorte une deuxième victoire en trois ans devant la Cour suprême du Canada.

Le plus haut tribunal au pays a en effet rejeté jeudi une autre demande d’un promoteur immobilier qui contestait le décret d’urgence pris par Ottawa en 2016 pour protéger la rainette faux-grillon, une espèce menacée. Des groupes environnementaux se réjouissent de la décision qui confirme ainsi que la décision du gouvernement fédéral ne constituait pas une expropriation déguisée.

La décision de la Cour suprême met fin à une autre saga juridique entourant la rainette faux-grillon de l’Ouest, une minuscule grenouille mesurant moins de 3 cm, menacée d’extinction. Rappelons qu’Ottawa avait adopté un décret d’urgence en 2016 afin de protéger l’espèce à La Prairie, menacée par un important projet de lotissement.

Un promoteur, Groupe Maison Candiac, avait d’abord contesté jusqu’en Cour suprême la validité du décret fédéral. En décembre 2020, la Cour suprême avait refusé la demande de l’entreprise qui contestait une décision de la Cour d’appel du Québec rejetant tous les arguments du promoteur.

De leur côté, les promoteurs du projet de lotissement Symbiocité à La Prairie ont choisi une autre voie pour contester le décret fédéral. D’emblée, les entreprises 9255-2504 Québec inc., 142 550 Canada inc. et Grand Boisé de La Prairie inc. ont décidé de ne pas contester la validité du décret, mais ont plutôt soutenu qu’Ottawa était dans l’obligation de leur verser une compensation puisque son entrée en vigueur les a empêchés de réaliser les dernières phases de leur projet immobilier.

Leurs arguments ont d’abord été rejetés par la Cour fédérale dans une décision rendue en janvier 2020. En mars 2022, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision rendue en première instance. Comme elle a l’habitude, la Cour suprême n’a pas justifié jeudi son refus d’entendre l’appel des promoteurs dans ce dossier.

La décision a réjoui la Société pour la nature et les parcs (SNAP) et le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE). Elle confirme selon ces deux organisations que « la protection des habitats [des espèces en péril] ne peut être assimilée à une expropriation déguisée ».

« C’est une bonne nouvelle pour les espèces en péril, lance Alain Branchaud, directeur général de la SNAP Québec. Ce jugement consolide la légitimité d’agir du gouvernement fédéral. » Une bonne nouvelle qui cache cependant une ombre au tableau, estime M. Branchaud.

Selon lui, les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale mettent en lumière des lacunes importantes dans la mise en œuvre de l’article 64 de la Loi sur les espèces en péril. Cet articule stipule en effet que le ministre responsable peut verser une indemnité après l’adoption d’un décret d’urgence, mais que le gouvernement doit avoir un règlement pour encadrer le versement d’une éventuelle indemnité. Or, un tel règlement n’existe pas à l’heure actuelle.

Dans sa décision rendue en janvier 2020, le juge René LeBlanc, de la Cour fédérale, écrivait que « la défenderesse, d’ailleurs, aurait tort d’interpréter le présent jugement comme si l’affaire était entendue, en ce sens qu’elle est réglée et ne requiert plus aucune action ; elle devra, plus tôt que tard, si elle ne veut pas s’exposer à d’autres recours, trouver une façon d’aller au bout de ce que le Parlement souhaitait pour la protection des espèces en péril au Canada ».

Selon Alain Branchaud, ce passage est une invitation claire pour Ottawa de se doter d’un tel règlement, ce qui ne l’obligerait pas de verser une compensation, estime-t-il, mais qui permettrait de remplir les obligations prévues à la Loi sur les espèces en péril.

La Presse a tenté sans succès de joindre les entreprises concernées par la décision de la Cour suprême.