Le gouvernement Legault veut fabriquer les composants de batteries « les plus verts du monde », mais leur construction consommera du gaz naturel polluant, notamment parce que la « capacité électrique actuelle est limitée ». Une situation dénoncée par Québec solidaire et qui fait réagir un expert en énergie.

Énergir fait en effet des démarches pour agrandir sa capacité gazière dans le parc industriel de Bécancour pour desservir les entreprises de la filière des batteries qui viendront s’y installer. « Ce projet contribuera […] au développement d’une industrie québécoise des batteries en assurant à d’éventuels clients de se raccorder au réseau d’Énergir », plaide le fournisseur de gaz dans un document remis à la Régie de l’énergie.

Elle demande une autorisation rapide pour pouvoir y livrer du gaz dès l’automne, destiné au chauffage d’une usine en construction. Rappelons que le gouvernement Legault a annoncé lundi dernier que General Motors produira des matériaux de batteries au Québec dès 2025 dans le parc industriel de Bécancour, grâce à une aide publique de 300 millions.

Lisez l’article « Filière québécoise des batteries : Québec et Ottawa offrent 300 millions à General Motors »

Les plus vertes « au monde »

« Pendant qu’on vend notre électricité aux États-Unis, on utilise du gaz naturel. On est très étonné du peu d’intérêt du gouvernement par rapport à nos obligations climatiques », dénonce le député de Québec solidaire Haroun Bouazzi en entrevue avec La Presse.

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Le député de Québec solidaire Haroun Bouazzi

À ce moment, le ministre de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, ne mentionnait pas l’usage du gaz naturel. « Grâce à ses ressources naturelles, ses talents et son énergie renouvelable, le Québec attire des géants de l’électrification. […] C’est ici qu’on va fabriquer les composants de batterie les plus verts au monde », se vantait-il.

M. Bouazzi dénonce ce qu’il estime être un manque de transparence de la part du ministre. « On ne peut pas en 2023 augmenter notre impact de GES en le cachant à la population », dénonce-t-il.

Énergir estime que les entreprises de la filière des batteries consommeront à terme, dans le parc industriel de Bécancour, 30 millions de mètres cubes de gaz naturel.

Et les émissions pourraient être encore plus importantes, car Énergir « projette un volume total de 53 millions de mètres cubes » à plus long terme.

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Le siège social d’Énergir, à Montréal

Le ministère de l’Économie est au courant de l’usage du gaz naturel par la filière des batteries. La sous-ministre adjointe à l’Économie, Dominique Deschênes, est même intervenue en faveur d’Énergir auprès de la Régie de l’énergie. Dans une lettre, elle appuie le projet de prolongement du réseau de gaz à Bécancour. « Puisque la capacité électrique actuelle est limitée, que certains procédés industriels ne peuvent pas techniquement être électrifiés ou nécessitent du gaz naturel comme intrant et que la redondance et la fiabilité sont essentielles à leurs opérations, le prolongement de l’infrastructure de gaz naturel s’avère nécessaire », écrit-elle.

L’attaché de presse de Pierre Fitzgibbon, Mathieu St-Amand, tient le même discours. Il affirme qu’il n’est pas judicieux de chauffer des bâtiments industriels avec de l’hydroélectricité. « Les projets comme celui annoncé lundi seront majoritairement alimentés à l’hydroélectricité », indique Mathieu St-Amand. Il estime que l’on peut « aisément spéculer que de produire des batteries à faible intensité carbone contribue positivement aux efforts de lutte aux GES de façon globale ».

Contradictions

Au contraire, le député Haroun Bouazzi estime que le gouvernement Legault et le ministère de l’Économie agissent en complète contradiction avec les objectifs environnementaux du Québec, qui vise la carboneutralité en 2050, et avec leur propre plan vert.

Le Plan pour une économie verte stipule en effet que les nouveaux projets industriels devraient « établir des installations compétitives et vertes » et que la construction de ces usines doit « intégrer des équipements plus efficaces sur le plan énergétique et qu’elles privilégient un approvisionnement en énergies renouvelables ».

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Le premier ministre François Legault, lors de l’annonce des investissements à Bécancour, le 29 mai dernier. Il est accompagné du président de POSCO Future M, Chi Gyu Cha, et de la présidente de GM Canada, Marissa West.

L’expert en énergie et professeur à HEC Montréal Pierre-Olivier Pineau estime qu’il est « problématique de prolonger un réseau au gaz naturel pour de nouvelles installations ». La seule façon de rendre acceptable cette pratique serait de prendre un « engagement ferme de décroissance de la consommation de gaz fossile » en faisant décroître la consommation de gaz naturel ailleurs. Il estime également que le chauffage des bâtiments « ne devrait se faire ni à l’électricité ni au gaz naturel ».

Les nouveaux bâtiments devraient être des bâtiments passifs, avec des enveloppes thermiques tellement performantes qu’aucun besoin de chauffage n’est nécessaire. Ils existent et sont rentables à long terme, mais ne sont ni imposés par la réglementation ni dans la culture actuelle.

Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal

Il critique également que les composants produits par cette usine soient destinés à de grosses voitures électriques, comme le Hummer. « On est peut-être en train de construire et de subventionner des installations complètement superflues et inutiles pour la transition énergétique. Nous devons avant tout investir dans une mobilité durable, pas dans des flottes de gros véhicules électriques », déplore-t-il.

Hummer électrique

Cette critique est aussi faite par Haroun Bouazzi, de Québec solidaire. Il estime que le gouvernement devrait plutôt miser sur l’électrification du transport collectif, et que le coût des aides publiques – près de 300 millions – n’est pas justifié par le nombre d’emplois créés, soit 200, et la production de grosses voitures électriques pesantes et énergivores. « Ce n’est pas brillant », laisse-t-il tomber.

Jean-Pierre Finet, analyste pour le Regroupement des organismes environnementaux en énergie, estime que les installations des fabricants de composants de batteries auraient pu être électrifiées à 100 %. Or, ils ont plutôt choisi de polluer, a-t-il déploré. « Ce sera des batteries vertes produites avec du gaz brun. »

De son côté, Énergir assure que les entreprises auront le choix d’acheter, si elles le désirent, du gaz naturel renouvelable. Or, contrairement aux particuliers et à la classe affaires, les nouveaux clients industriels d’Énergir n’ont aucune obligation d’en acheter.

Dans une version précédente de ce texte, le député de Québec solidaire Haroun Bouazzi affirmait erronément que les émissions de 50 000 tonnes de CO2 étaient l’équivalent des émissions de la population de Chicoutimi. Il s’agit plutôt de l’équivalent des émissions d’une ville de 5000 habitants.