Les quantités de pesticides vendues au Québec en 2021 ont atteint un sommet inégalé depuis 30 ans. Cette hausse s’explique notamment par un rebond dans les ventes de glyphosate en agriculture et une augmentation marquée des ventes de biopesticides en milieu urbain pour lutter contre… les pissenlits.

Ce qu’il faut savoir

  • Pour la première fois depuis 1992, les quantités de pesticides vendues au Québec ont franchi la barre des 5 millions de kilogrammes d’ingrédients actifs. Un record historique.
  • L’herbicide glyphosate est toujours le pesticide le plus vendu dans la province.
  • La quête d’un gazon sans pissenlits a fait bondir les ventes de farine de gluten de maïs, biopesticide qui arrive en deuxième position des ventes.

C’est ce que révèle le plus récent bilan annuel des ventes de pesticides, publié discrètement sur le site web du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs.

Les pesticides sont des substances chimiques qui servent à lutter contre les mauvaises herbes (herbicides), les insectes ravageurs (insecticides) ou les champignons (fongicides).

Pour la première fois depuis 1992, les ventes totales de pesticides ont franchi le seuil de 5 millions de kilogrammes d’ingrédients actifs (kg i.a.) vendus.

Ces ventes, qui totalisent 5,1 millions de kilogrammes d’ingrédients actifs, se situent au-dessus de la moyenne des cinq dernières années de 4,5 millions de kilogrammes d’ingrédients actifs, et ce, en dépit des cibles de réduction que le Québec s’est fixées dans le secteur agricole.

« Ça n’a aucun sens. On ne devrait pas, en ce moment, être en progression d’utilisation des pesticides, on devrait être en restriction, et ce n’est pas du tout le profil qu’on voit », déplore Louise Hénault-Ethier, directrice du Centre Eau, Terre, Environnement de l’Institut national de recherche scientifique.

En guerre contre les pissenlits

Fait nouveau, les ventes de biopesticides ont atteint un sommet en 2021 avec près de 1,5 million de kilogrammes d’ingrédients actifs, soit près du double des ventes de 2019. La moitié des biopesticides ont été vendus en milieu urbain. Et c’est la farine de gluten de maïs, utilisée pour limiter la germination des pissenlits, qui arrive désormais au deuxième rang des pesticides les plus vendus au Québec.

Contrairement aux pesticides de synthèse, les biopesticides sont dérivés de sources naturelles. Malgré cela, ils peuvent avoir des impacts néfastes sur la biodiversité, prévient Mme Hénault-Ethier.

C’est une inquiétude parce que d’un point de vue strictement biologique, toutes les plantes comme les pissenlits sont essentielles aux insectes et pollinisateurs qui sont la base de la chaîne alimentaire.

Louise Hénault-Ethier, directrice du Centre Eau, Terre, Environnement

« Les pissenlits, autant que certains puissent les détester, sont les premiers à fleurir au printemps et parmi les derniers à faner à l’automne. Donc ça donne [aux insectes et pollinisateurs] une réserve de garde-manger alors qu’il n’y a pas d’autres fleurs disponibles dans les écosystèmes », ajoute Mme Hénault-Ethier.

Les quantités « d’herbicides pour gazon » vendues sont passées de 419 263 kg i.a. en 2020 à 651 226 kg i.a. en 2021. Un autre record. En 2014, elles étaient de 2609 kg i.a.

« Je ne pense pas qu’on doit lutter contre la biodiversité en milieu urbain en 2023, c’est futile, c’est dangereux », ajoute-t-elle.

Encore loin des cibles en agriculture

Les ventes en milieu agricole représentent, comme chaque année, la majorité des ventes de pesticides dans la province. Or, malgré l’adoption d’une cible pour faire chuter les quantités épandues dans les champs du Québec de 15 % d’ici 2030, les ventes de pesticides en milieu agricole demeurent stables.

« Avec 3,6 millions de kg i.a., les ventes du milieu agricole représentent 72 % des ventes totales. Celles-ci correspondent exactement à la moyenne des cinq dernières années », peut-on lire dans le rapport.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Les ventes en milieu agricole représentent la majorité des ventes de pesticides dans la province.

Adopté en 2020, le Plan d’agriculture durable du Québec vise à réduire de 500 000 kg i.a. le volume de pesticides vendus à l’échelle de la province d’ici 2030, mais à partir d’une valeur de référence annuelle fixée à 3,3 millions de kilogrammes d’ingrédients actifs.

« On a raté les cibles cinq fois depuis 1992 », souligne Louise Vandelac, directrice du Collectif de recherche écosanté sur les pesticides, les politiques et les alternatives (CREPPA) de l’UQAM. « C’est une véritable saga. C’est non seulement triste, il y a un véritable problème de responsabilité de l’État. »

Le glyphosate toujours numéro 1

Mme Vandelac s’inquiète plus particulièrement de la hausse liée aux ventes de glyphosate. Cet herbicide, souvent utilisé en tandem avec des semences génétiquement modifiées pour lui résister, trône toujours au sommet du palmarès des ventes.

Il s’est vendu près de 1,8 million de kilogrammes d’ingrédients actifs de glyphosate en 2021 au Québec. Le produit est responsable de près des trois quarts de la hausse des ventes de pesticide observée par rapport à 2020, note le rapport.

PHOTO JEAN-FRANÇOIS MONIER, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Il s’est vendu près de 1,8 million de kilogrammes d’ingrédients actifs de glyphosate en 2021 au Québec.

« Il n’y a pas un agriculteur dans le monde qui utilise du glyphosate, ils utilisent des herbicides à base de glyphosate et c’est l’ensemble des autres composés, surtout, qui posent problème. Il faut que l’analyse soit faite et il n’est pas normal que les instances publiques ne l’aient pas faite », souligne Mme Vandelac. Dans la liste des autres ingrédients, elle montre notamment du doigt des produits dérivés du pétrole et des métaux lourds.

Moins d’animaux, moins de foin

Questionné sur la hausse des ventes de pesticides, le président du syndicat de l’Union des producteurs agricoles note que les cheptels bovin, laitier et ovin ont diminué au cours des dernières années. Les superficies de foin et de pâturage, qui ne nécessitent pas ou peu de pesticides, ont été remplacées par des cultures annuelles qui en utilisent généralement.

« Depuis 2006, il y a 200 000 hectares de plus en soya et en petits fruits, c’est 20 000 hectares de plus. Pendant ce temps-là, on a 200 000 hectares de moins dans le foin et 90 000 hectares de moins dans les céréales », souligne Martin Caron.

Il affirme que les producteurs sont réellement mobilisés. Il note toutefois que le Plan d’agriculture durable prévoyait l’ajout sur le terrain de 75 agronomes et ingénieurs pour épauler les producteurs. « Les agronomes qu’on a sont pris à remplir la paperasse du côté administratif et ne sont pas dans nos champs avec nous autres. Et ça, il faut vraiment qu’il y ait un virage pour qu’il y ait plus d’accompagnement sur le terrain », dit-il.