De nombreuses espèces à statut précaire ont été répertoriées sur le site visé

Des groupes environnementaux demandent au ministre de l’Environnement, Benoit Charette, d’annuler un projet de lotissement résidentiel controversé à Hudson, en Montérégie. S’il allait de l’avant, le projet Pine Beach pourrait « causer un préjudice irréparable ou une atteinte sérieuse » à l’environnement, plaident-ils.

Le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), Nature Hudson et le Fonds d’héritage pour l’environnement affirment avoir transmis de nouvelles informations au ministre Charette et l’invitent à exercer ses pouvoirs lui permettant de réviser ou d’annuler une autorisation ministérielle déjà accordée.

Un certificat d’autorisation a été délivré en mars 2014 à l’entreprise Nicanco Holdings inc. pour le remblayage de milieux humides dans le secteur Sandy Beach, en bordure de la rivière des Outaouais. Le rapport d’analyse du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) précisait alors la superficie des milieux humides qui allait être remblayée et mentionnait la présence d’une seule espèce à statut précaire sur le site.

Or, dans une lettre transmise au ministre Charette le 20 février dernier, les trois organismes indiquent que la superficie des milieux humides dans cette zone est plus importante que celle établie au moment de la délivrance du certificat d’autorisation en 2014.

Zone humide et espèces précaires

Dans sa missive d’une dizaine de pages, l’avocat Marc Bishai, du CQDE, cite notamment un rapport d’inspection produit par le MELCCFP en avril 2021. Ce rapport indique que selon l’analyste maintenant au dossier, Youri Tendland, « les milieux humides seraient maintenant plus importants qu’en 2014 ».

Des informations qui concordent avec les conclusions de la firme de biologistes TerraHumana Solutions, qui a réalisé un inventaire écologique du secteur en 2021 à la demande de Nature Hudson.

Dans son rapport, la firme signale avoir identifié « une zone humide entière » qui ne figure pas dans le plan d’aménagement du promoteur.

Selon MBishai, Benoit Charette doit aussi tenir compte des conclusions de TerraHumana, qui précise avoir répertorié 29 espèces à statut précaire sur le site visé par un projet de lotissement. La firme conclut d’ailleurs dans son rapport que le secteur de Sandy Beach pourrait se qualifier comme écosystème forestier exceptionnel (EFE), statut attribué par Québec aux forêts rares ou encore à celles qui abritent des espèces menacées ou vulnérables.

Comme l’a révélé La Presse récemment, la firme AECOM Tecsult, retenue par le promoteur, avait pourtant affirmé qu’« aucune espèce floristique ou faunique désignée menacée ou vulnérable n’[avait] été répertoriée sur le site du projet ».

Possible en vertu de la loi

À la lumière de ces informations, le CQDE invite le ministre Charette à utiliser les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de la Loi sur certaines mesures permettant d’appliquer les lois en matière d’environnement et de sécurité des barrages. Les articles 32 et 37 de cette loi précisent les conditions permettant au ministre de révoquer une autorisation ministérielle, plaide le CQDE.

L’article 32 de la loi indique que le ministre peut « modifier, suspendre, révoquer ou annuler » une autorisation si le demandeur a fourni des renseignements inexacts ou omis de déclarer un fait important.

Quant à l’article 37, il prévoit que le ministre peut faire cesser toute activité qu’il a autorisée s’il a des raisons de croire que celle-ci « est susceptible de causer un préjudice irréparable ou une atteinte sérieuse aux espèces vivantes, à la santé de l’être humain ou à l’environnement en raison d’informations nouvelles ou complémentaires devenues disponibles après la délivrance de cette autorisation ».

Selon le CQDE, le rapport d’inspection du MELCCFP et le rapport de TerraHumana justifient l’intervention du ministre Charette.

Rappelons que Québec mène actuellement une bataille judiciaire pour faire annuler plusieurs certificats d’autorisation délivrés avant 2017, dont celui accordé à Nicanco Holdings en 2014. L’entreprise a contesté la décision de Québec en Cour supérieure, qui lui a donné raison. L’affaire a été entendue par la Cour d’appel la semaine dernière. Une décision devrait être rendue dans les prochains mois.

MBishai précise que la démarche de Nature Hudson et du Fonds d’héritage pour l’environnement « est indépendante et distincte [du processus judiciaire en cours] et deviendra d’autant plus importante si la décision de la Cour d’appel est défavorable au gouvernement du Québec ».

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Benoit Charette, ministre de l’Environnement

La lettre transmise au ministre Charette, le 20 février dernier, lui demandait d’indiquer ses intentions dans un délai de 15 jours. Marc Bishai a signalé mercredi à La Presse n’avoir reçu aucune réponse. « Nous allons attendre la décision de la Cour d’appel », indique-t-il. Mais si la décision était favorable au promoteur, l’avocat du CQDE précise qu’aucune démarche n’est exclue pour forcer le ministre à intervenir dans ce dossier.

Le cabinet du ministre Charette n’a pas voulu commenter le dossier.