Avec leur jardin peuplé d’immenses cactus et leur vue imprenable sur les cimes rocailleuses du désert de Sonora, Wendy et Vance Walker pensaient s’être installés dans un petit bout de paradis à Rio Verde Foothills, en Arizona… Jusqu’à ce que l’eau leur soit soudainement coupée.

Depuis que la ville voisine de Scottsdale, responsable de leur approvisionnement, a décidé de fermer son robinet il y a bientôt trois mois à cause de la sécheresse ravageant l’Ouest américain, le quotidien de ce couple de quinquagénaires a radicalement changé.  

Assiettes en carton et couverts en plastique pour les repas, douches éclair tous les quatre jours seulement, collecte de l’eau de pluie dans des tonneaux pour pouvoir tirer la chasse : tous les moyens sont bons pour minimiser leur consommation.  

« Beaucoup de gens ne prennent pas la sécheresse au sérieux », soupire Wendy, dans la cuisine de sa coquette maison, achetée en pleine pandémie pour 600 000 dollars américains en 2020.  

« Et même en vivant dans le désert, nous ne prenions pas ça sérieusement non plus », confesse cette directrice de la communication d’un grand groupe. « Jusqu’à ce qu’on y soit forcés. »

Comme les Walker, de nombreux habitants de Rio Verde Foothills ont été rattrapés par la réalité climatique.  

Dans ce patelin où villas et ranchs n’ont jamais eu l’eau courante, environ 500 foyers comptaient sur la ville toute proche de Scottsdale pour vendre le précieux liquide à des entreprises chargées de livrer les résidents en camion-citerne.

Déclin du fleuve Colorado

Mais Scottsdale doit composer avec le déclin inexorable du fleuve Colorado, dont elle tire 70 % de son eau du robinet.  

Plus de deux décennies de sécheresse, alimentée par le réchauffement climatique, ont gravement amoindri cette rivière abreuvant 40 millions de personnes dans l’Ouest américain. Au point que les sept États qui en dépendent se querellent actuellement pour savoir comment couper jusqu’à un quart de leur consommation.

Face aux restrictions inévitables, Scottsdale a décrété qu’elle ne pouvait plus répondre aux besoins de Rio Verde Foothills, étiqueté comme un voisin à la croissance immobilière irresponsable. Au 1er janvier, la ville a coupé l’accès de sa station-service aux livreurs.  

Cette mesure a complètement bouleversé le travail de John Hornewer.  Pour remplir son camion-citerne de 22 000 litres, il doit désormais conduire des heures durant, afin de s’approvisionner ailleurs dans de multiples stations.  

« Nous sommes le premier domino à tomber et à vraiment ressentir les effets de la sécheresse », estime ce livreur d’eau, obligé de rationner certains clients. « Plus l’eau devient rare et précieuse, plus les villes et les autorités vont vouloir protéger la leur. »

Après avoir doublé ses prix pour amortir le coût de l’essence et les heures supplémentaires, une question le taraude à l’approche de l’été : qui va-t-il devoir priver d’eau ? Car avec l’augmentation mécanique de la demande pendant la saison aride, il n’aura plus assez de temps pour livrer tout le monde.

Affaire d’État

Ce scénario catastrophe a provoqué une affaire d’État en Arizona. Après de multiples pressions politiques, Scottsdale a proposé mi-février une solution d’urgence.  

La municipalité démocrate, qui continue d’arroser ses luxueux terrains de golf, pourrait acheter de l’eau supplémentaire et réautoriser les livraisons. À une condition : que le comté républicain, dont dépend Rio Verde Foothills, finance l’opération. Mais ce dernier a rejeté cette proposition et les négociations s’enlisent.

Temporaire, ce plan ne durerait que trois ans maximum. À long terme, Rio Verde Foothills devra se fournir autrement.  

Et là encore, c’est la guerre : les habitants se déchirent depuis des mois pour savoir s’ils doivent confier la gestion future de leur eau à une entreprise privée ou à une agence publique. Les propriétaires de puits du coin sont farouchement opposés à la seconde option car ils craignent de se faire exproprier.  

Face à tant d’incertitudes, Lothar Rowe et ses cinquante chevaux n’ont pas pu attendre. Propriétaire d’un ranch depuis vingt ans, cet Allemand vient d’acheter un terrain doté d’un puits afin de les abreuver, pour un demi-million de dollars.

« Je n’arrive pas à y croire », s’étonne l’octogénaire. « On parle des États-Unis : ils ont été sur la Lune, ils essaient d’aller sur Mars… Et ils n’ont pas d’eau ici. »

« Le problème depuis le départ, c’est que nous étions tous dans le déni. Personne ne pensait vraiment que cela arriverait », souffle de son côté Rusty Childress.  

Devant sa maison, ce photographe a planté une pancarte : « Acheteurs, attention ! Pas d’eau à Rio Verde. » Car malgré la situation alarmante, les chantiers se multiplient dans le coin : les promoteurs immobiliers exploitent certaines failles légales pour construire, sans garantir un accès durable à l’eau.

« Ici, on se saoule à la croissance », regrette le sexagénaire. « Mais on ne peut pas avoir une croissance incontrôlée avec un vrai problème d’eau. »