(Le plan de match précédent pour restaurer la nature a été un échec. La pression est donc forte pour que celui qui sera élaboré à Montréal soit un succès.) Le mandat de la conférence des Nations unies sur la biodiversité qui se tiendra à Montréal du 7 au 19 décembre est titanesque : définir un cadre mondial pour la restauration de la nature d’ici 2030.

« C’est la plus grosse COP biodiversité qu’il n’y a jamais eu », résume Jean Lemire.

Le biologiste, cinéaste et navigateur bien connu est depuis cinq ans l’émissaire aux changements climatiques et aux enjeux nordiques et arctiques du Québec — il a été nommé par le gouvernement libéral de Philippe Couillard.

À ce titre, il a été impliqué de près dans la préparation de cette 15e conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique des Nations unies, dont l’issue s’annonce aussi importante pour la protection de la nature que la conférence de Paris l’a été pour la lutte contre les changements climatiques.

« On veut créer un moment Montréal, comme il y a eu un moment Paris », dit-il.

Du pain sur la planche

La tâche s’annonce d’autant plus ardue à Montréal que le cadre précédent, adopté en 2010 dans la préfecture d’Aichi, au Japon, a été un échec.

« Aucun des Objectifs d’Aichi pour la biodiversité ne sera entièrement réalisé », assénait dans son plus récent bilan le Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique (SCDB), dont le siège est à Montréal.

Le retard à rattraper est donc colossal, et « il reste beaucoup, beaucoup de travail à faire », à une dizaine de jours du début de la rencontre, reconnaît Jean Lemire, qui explique que les discussions ont commencé dès 2018 — la COP15 devait initialement se tenir en 2020, mais a été reportée en raison de la pandémie.

« J’ai rarement vu une négociation aussi lente ; il va falloir qu’on passe à la deuxième vitesse », dit-il, précisant qu’une séance de négociation précédera le début officiel de la COP15 « pour essayer de faire avancer le texte ».

J’avoue que le cadre sur lequel on travaille est très ambitieux, mais c’est ce que la science demande.

Jean Lemire, émissaire aux changements climatiques et aux enjeux nordiques et arctiques du Québec

Nature en péril

La préservation de la nature n’est « pas juste une question de sauver des animaux et des plantes », insiste Jean Lemire.

« C’est beaucoup plus large », dit-il, soulignant notre dépendance à la nature pour nous alimenter, respirer, nous soigner, nous loger, nous habiller.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Caribous forestiers, une espèce désignée « vulnérable » au Québec, dont la protection a fait couler beaucoup d’encre cette année.

« Notre économie est basée sur l’exploitation des ressources naturelles », rappelle-t-il.

En ce moment, on est sur une trajectoire qui est dangereuse. On ne peut pas simplement prendre les ressources au rythme effréné actuel et espérer que tout va bien aller.

Jean Lemire, émissaire aux changements climatiques et aux enjeux nordiques et arctiques du Québec

La protection de la biodiversité est également intimement liée à la lutte contre les changements climatiques et à l’atteinte de la carboneutralité, souligne Jean Lemire.

« Il y a une course en ce moment pour trouver des puits de carbone, et ça, c’est la nature, les milieux humides, les océans », dit-il.

Objectif 30 % pour 2030

L’une des propositions phares du cadre mondial pour la restauration de la nature est la protection de 30 % des terres et des océans d’ici 2030, à l’échelle planétaire.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Alice de Swarte, directrice principale de la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs

« Les principaux nœuds, comme dans les COP sur le climat, sont le financement et les moyens de l’implanter dans les pays du Sud », indique Alice de Swarte, directrice principale de la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs (SNAP).

Elle se dit tout de même optimiste que le cadre sera adopté : « L’essentiel du travail est fait, ce qui manque, c’est l’adoption politique. »

N’empêche, dans le système onusien, les décisions doivent être prises à l’unanimité, rappelle Jean Lemire, qui prévoit « beaucoup de travail de corridor ».

S’attaquer aux « causes sous-jacentes »

Si la communauté internationale a échoué à atteindre les Objectifs d’Aichi qu’elle s’était donnés en 2010, c’est parce que ceux-ci s’attaquaient seulement aux causes directes de la destruction de la nature, comme la protection des espèces menacées, la pêche durable, la pollution.

PHOTO LUIS ACOSTA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Aigrettes sur une plage polluée de Panamá, en avril 2021

« Mais les scientifiques nous disent qu’il faut s’attaquer aux causes sous-jacentes du déclin de la biodiversité », indique Alice de Swarte, citant le niveau de consommation des ménages, le volume du commerce mondial, la pression démographique.

« C’est essentiel, si on veut atteindre les cibles de 2030, d’avoir cette discussion », dit-elle, appelant à une intégration des enjeux de biodiversité dans la prise de décision sociale et politique.

La COP15 a aussi comme autres objectifs de faire en sorte que les engagements qui seront pris s’accompagnent d’actions et de moyens concrets, d’autant plus qu’une mise en œuvre rapide s’impose, vu le retard accumulé, affirme Mme de Swarte.

Le manque à gagner financier pour restaurer la biodiversité est évalué à 700 milliards de dollars US (934 milliards CAN) d’ici 2030, rappellent les Nations unies.

Sauver la nature, un investissement à la fois

Le milieu québécois de la finance s’active pour faire rayonner son expertise en investissement durable, lors de la Conférence de Montréal sur la diversité biologique (COP15).

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Geneviève Morin, présidente-directrice générale de Fondaction

« Il y a comme un appétit nouveau pour s’intéresser aux questions de biodiversité », constate Geneviève Morin, présidente-directrice générale de Fondaction, le fonds d’investissement socialement responsable de la Confédération des syndicats nationaux (CSN).

« Ça a commencé avec le climat, mais il y a un élargissement aux services que la nature rend », dit-elle.

Certains investisseurs ne se préoccupent plus seulement de l’empreinte carbone de leurs investissements, mais aussi de leur impact sur la destruction de la nature.

Et le Québec a « un fort leadership » en la matière, selon la directrice principale de la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs (SNAP), Alice de Swarte.

« Il y a 50 % du PIB [produit intérieur brut] mondial qui dépend de la biodiversité, et le secteur privé et les investisseurs l’ont très bien compris et sont déjà en train d’intégrer les risques de la perte de biodiversité dans leurs stratégies d’investissement », ajoute-t-elle.

Les entreprises qui mènent leurs activités en limitant leur impact écologique, ou qui offrent des solutions à la perte de biodiversité et à la crise climatique, sont celles que doivent rechercher les investisseurs, croit Geneviève Morin.

Ce sont elles qui vont gagner ; ce sont ces entreprises-là qui vont offrir le meilleur rendement.

Geneviève Morin, présidente-directrice générale de Fondaction

Le monde de la finance prend tranquillement conscience que la nature a de la valeur, qu’il s’agisse du rôle des animaux dans les écosystèmes, de la captation de carbone par les végétaux ou de l’impact de la nature sur la santé humaine, illustre Geneviève Morin.

« Tout ça était tenu pour acquis, on pensait que ça arrivait tout seul, mais les gens se rendent compte qu’à force de repousser les limites, on accentue les problèmes », dit-elle.

Les gouvernements n’y arriveront pas seuls

Investir dans la restauration et la préservation des milieux naturels est d’autant plus pertinent que les gouvernements ne pourront pas porter seuls le poids financier de la restauration de la biodiversité, estime Geneviève Morin.

« La conservation de la nature, c’est plus financé par le public, mais l’affaire, c’est qu’on a besoin de tripler ce financement, et ça ne pourra pas venir des gouvernements », dit-elle.

Le monde de la finance est encore frileux devant ces investissements, reconnaît sans hésiter Geneviève Morin, qui compte sur la COP15 pour faire changer les choses.

« Les financiers ont tendance à aimer les choses connues, et la biodiversité, c’est un peu moins connu, dit-elle. Mais pour que les choses avancent, il faut qu’il y ait des premiers qui proposent aux autres d’embarquer. »

Les COP sur la biodiversité

  • COP1 : 1994, Nassau (Bahamas)
  • COP2 : 1995, Jakarta (Indonésie)
  • COP3 : 1996, Buenos Aires (Argentine)
  • COP4 : 1998, Bratislava (Slovaquie)
  • EXCOP1*, 1re partie : 1999, Carthagène (Colombie)
  • EXCOP1*, 2e partie : 2000, Montréal (Canada)
  • COP5 : 2000, Nairobi (Kenya)
  • COP6 : 2002, La Haye (Pays-Bas)
  • COP7 : 2004, Kuala Lumpur (Malaisie)
  • COP8 : 2006, Curitiba (Brésil)
  • COP9 : 2008, Bonn (Allemagne)
  • COP10 : 2010, Nagoya (Japon)
  • COP11 : 2012, Hyderabad (Inde)
  • COP12 : 2014, Pyeongchang (Corée du Sud)
  • COP13 : 2016, Cancún (Mexique)
  • COP14 : 2018, Charm el-Cheikh (Égypte)
  • EXCOP2* : 2020, en ligne
  • COP15, 1re partie : 2021, Kunming (Chine)
  • COP15, 2e partie : 2022, Montréal (Canada)

* Conférence extraordinaire des parties

Source : Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique

En savoir plus
  • 196
    Nombre d’États « parties » à la Convention sur la diversité biologique, qui l’ont signée et ratifiée
    source : Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique
    1992
    Année de la signature de la Convention sur la diversité biologique, lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, au Brésil
    source : Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique
  • 1000 milliards
    Valeur des populations de baleines du monde, en raison de leur apport écologique, comme l’augmentation du phytoplancton, le tourisme et la séquestration de carbone
    source : Fonds monétaire international