Les élus municipaux du Saguenay–Lac-Saint-Jean ont bel et bien fait pression sur Québec pour écarter du comité chargé de concrétiser l’aire protégée de la rivière Péribonka les idéateurs du projet.

La Conférence régionale des préfets des municipalités régionales de comté (MRC) du Lac-Saint-Jean a menacé Québec de ne pas participer à ce comité si le Comité de sauvegarde de la rivière Péribonka, qui porte le projet d’aire protégée depuis 2010, y siégeait aussi.

Il s’agissait de l’une des « trois conditions » exigées par les élus régionaux en contrepartie de leur participation au comité, ont signifié les préfets des cinq MRC de la région dans une lettre au ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette.

Leur missive, datée du 31 mai 2022 et que La Presse a obtenue, réclamait textuellement « que les organes de pression tel le comité de sauvegarde de la Péribonka ne fassent pas partie de ce comité », chargé de finaliser le projet.

Pourtant, la Conférence régionale des préfets avait affirmé catégoriquement en septembre ne pas avoir demandé l’exclusion spécifique des idéateurs du projet d’aire protégée, quand La Presse avait rapporté leur mise à l’écart⁠1.

« On n’a pas demandé explicitement à ce que le Comité de sauvegarde [de la rivière Péribonka] ne soit pas présent », avait alors déclaré son directeur général, Aldé Gauthier, précisant avoir « dit sans nommer personne [vouloir] un comité neutre ».

Il avait même ajouté : « Si on a dit ça, j’aimerais voir l’écrit. »

Un « oubli »

Le directeur général de la Conférence régionale des préfets a reconnu mardi avoir « élaboré la lettre » en question, mais a soutenu qu’il ne se souvenait pas d’y avoir réclamé l’exclusion du Comité de sauvegarde de la rivière Péribonka lorsqu’il avait répondu aux questions de La Presse.

« C’est vraiment un oubli de ma part », a déclaré Aldé Gauthier, disant s’en être souvenu par la suite, mais ne pas avoir « jugé bon » de rappeler La Presse pour corriger le tir.

La demande des élus d’exclure du comité les « organes de pression » les a forcés à accepter que n’y siège pas non plus l’Alliance Forêt boréale, organisation paramunicipale qui défend « les intérêts des communautés forestières » et qui s’oppose au projet d’aire protégée de la rivière Péribonka.

« On en est venus à la conclusion qu’il fallait être conséquents », a indiqué M. Gauthier.

Mêmes bureaux

Or, l’Alliance Forêt boréale partage ses bureaux et son personnel avec la Conférence régionale des préfets et son conseil d’administration est composé notamment des préfets des MRC de la région.

Qu’est-ce qui distingue les deux organisations ?

« L’Alliance Forêt boréale ne gère que des dossiers forestiers, [tandis que] la Conférence régionale des préfets gère plus que la question forestière », a fait valoir M. Gauthier.

Les MRC préfèrent avoir à la table de discussion des « organismes régionaux », plutôt que les idéateurs du projet d’aire protégée, qu’ils considèrent comme une organisation locale, a expliqué le préfet de la MRC de Lac-Saint-Jean-Est, Louis Ouellet.

Les élus siégeant au comité représenteront par ailleurs les intérêts des MRC et non pas ceux de l’Alliance Forêt boréale, même s’ils sont membres des deux organisations, a quant à lui assuré Yanick Baillargeon, préfet de la MRC du Domaine-du-Roy.

Proximité dénoncée

Le Comité de sauvegarde de la rivière Péribonka se doutait bien que les élus municipaux l’avaient écarté du comité mis sur pied par Québec.

« Ça ne me surprend absolument pas, ça leur ressemble de vouloir exclure des citoyens », a réagi sa porte-parole, Ève Tremblay.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Ève Tremblay, porte-parole du Comité de sauvegarde de la rivière Péribonka

Mme Tremblay s’offusque surtout de voir ces élus siéger au comité « avec deux et trois chapeaux sur la tête », soulignant les liens étroits entre la Conférence régionale des préfets et l’Alliance Forêt boréale.

« Ils se présentent comme deux organisations distinctes, mais deux organisations formées des mêmes personnes, ça ne peut pas être différent », a-t-elle lancé.

La résidante de Lamarche, municipalité qui sera la porte d’entrée de la future aire protégée de 237 km⁠2, s’inquiète de voir la concrétisation du projet confiée à des gens qui s’y opposent.

« On sait tous qu’ils vont défendre la vision d’Alliance Forêt boréale, qui s’est opposée ouvertement et publiquement au projet d’aire protégée Péribonka », a-t-elle déclaré.

Dans ses autres « conditions » présentées au ministre Charette, la Conférence régionale des préfets exigeait notamment de pouvoir discuter du « choix de la catégorie » d’aire protégée et des « usages permis ».

Un comité pour quoi faire ?

Le comité mis sur pied par Québec pour concrétiser l’aire protégée de la rivière Péribonka, officialisée par Québec en juin⁠2, sera appelé à se pencher sur les « limites fines » du territoire à protéger, son statut de protection, sa gestion et sa mise en valeur, ainsi que sur les principaux objectifs du plan de conservation. Il se réunira bientôt pour une première rencontre, a indiqué mardi le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, précisant que la liste de ses membres n’avait pas changé.

1. Lisez « Québec écarte les idéateurs du projet au profit des opposants » 2. Lisez « Québec avance vers la protection de la rivière Péribonka »
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  • 8,4 %
    Proportion du territoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean bénéficiant d’une protection (8928 km⁠2)
    source : Registre des aires protégées au Québec, ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques