La Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques permettra-t-elle d’atteindre l’objectif d’aucune perte nette ? À ce jour, seulement 2,6 % des fonds recueillis par Québec pour financer des projets de restauration ont été dépensés. Des experts proposent des solutions à un enjeu trop souvent mis de côté.

La restauration coûte cher

L’un des rares projets de restauration ou de création de milieux humides autorisés par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) sera réalisé à Montréal au coût de 1 million de dollars. Celui-ci devrait permettre de restaurer une superficie de 22 000 m⁠2 au boisé du parc Marcel-Laurin, dans l’arrondissement de Saint-Laurent. En juillet dernier, la Ville a embauché un agent de recherche spécialisé en restauration écologique pour un mandat de trois ans. Selon Marc-Olivier Fritsch, du service des communications de Montréal, la Ville prépare actuellement un appel d’offres pour sélectionner une firme spécialisée qui réaliserait les travaux d’ici 2025. Rappelons qu’à ce jour, seulement 2,6 % des 92,5 millions de dollars amassés par le gouvernement du Québec ont été affectés à des projets de restauration ou de création de milieux humides.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Boisé du parc Marcel-Laurin, dans l’arrondissement de Saint-Laurent

Stopper la destruction

Selon l’avocat Jean-François Girard, spécialisé en droit de l’environnement, « la véritable approche serait d’arrêter de détruire des milieux humides ». Selon lui, le Québec risque de se retrouver dans une situation « où ce sera pire » dans quelques années. Un avis que partage la biologiste Kim Marineau, qui compte plus de 30 ans d’expérience. « Avant de recréer des milieux humides, il faut protéger ceux qu’on a », plaide-t-elle. La situation est particulièrement critique en Montérégie, précise-t-elle. Les milieux humides, en particulier les tourbières, sont aussi des puits de carbone et de méthane. Des GES sont relâchés quand ces milieux sont détruits ou perturbés. Une étude publiée en 2021 dans la revue Science Advances a calculé que la destruction des milieux humides toujours intacts au Canada pourrait relâcher 15 millions de tonnes de GES dans l’atmosphère.

Il faut un plan

« Il faut avoir une vue d’ensemble dans ce dossier, soutient André Bélanger, directeur général de la Fondation Rivières. On ne peut pas seulement donner aux générations suivantes des problèmes à régler. » Il suggère que Québec s’inspire de la Loi sur les espèces en péril au fédéral, qui prévoit une classification des espèces menacées. Le MELCC pourrait ainsi désigner les milieux humides qu’il faut absolument protéger, pour lesquels il n’y a aucune compensation possible. Selon lui, détruire des milieux humides en échange d’une compensation est une espèce de « trou sans fond » qui ne permettra pas d’atteindre l’objectif d’aucune perte nette. « Le gouvernement devrait aussi se donner des cibles contraignantes. » Le gouvernement de l’Ontario, par exemple, s’est donné pour objectif de freiner d’ici 2025 la perte nette de milieux humides dans les régions où les pertes sont les plus importantes. La stratégie ontarienne prévoit également de faire des gains d’ici 2030, toujours dans les régions les plus touchées.

Un porteur de ballon

La biologiste Kim Marineau croit qu’il faut mettre sur pied une instance dont la mission sera de fixer les objectifs et de mesurer les progrès. « Ça va prendre aussi une surveillance à long terme [des nouveaux milieux humides] et un entretien, sinon tous ces efforts n’auront servi à rien. » Selon elle, le gouvernement ne peut seulement attendre que des organismes ou des municipalités manifestent leur intérêt pour la création de nouveaux milieux humides. D’autant que les coûts risquent d’être beaucoup plus élevés que les sommes recueillies en compensations financières, estime-t-elle. Elle précise que la nouvelle loi et son régime de compensation n’ont pas vraiment freiné la destruction de ces milieux naturels. « Il n’y a rien qui a vraiment changé dans la tête des promoteurs. La seule différence, c’est que maintenant, ils demandent combien ça va coûter [pour détruire des milieux humides]. »

Modifier la loi sur la protection des terres agricoles

« C’est un enjeu d’aménagement du territoire », lance Sébastien Rioux, directeur pour le Québec de Canards illimités, un organisme qui se spécialise dans la conservation et la restauration de milieux humides. Selon lui, il faut aussi réfléchir à élargir le « terrain de jeu » pour créer de nouveaux milieux humides. « On est mûrs pour une mise à jour de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles en 2022 dans un contexte d’urgence climatique et de crise de la biodiversité. » Il estime qu’il faut prévoir la possibilité d’aménager des milieux humides sur des terres agricoles, « au bon moment et au bon endroit », sans avoir à faire systématiquement des demandes d’exception. « Ce sont des infrastructures vertes qui vont profiter autant aux agriculteurs qu’à la population. »