(Montréal) De nouveaux insectes font régulièrement leur apparition au Canada et certains d’entre eux peuvent représenter une menace, car ils s’attaquent aux cultures.

Plusieurs organisations surveillent de près ces potentiels ravageurs, qui peuvent causer des millions de dollars de dommages en agriculture. Le mois dernier, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a publié un rappel concernant le fulgore tacheté, un insecte venu d’Asie, mais bien installé aux États-Unis depuis 2014.

Au Québec, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) assure également un suivi des insectes nuisibles. C’est notamment le rôle du Réseau d’avertissements phytosanitaires (RAP), qui est sous la responsabilité de la Direction de la phytoprotection du MAPAQ et qui assure une veille quant à la présence et l’évolution des ennemis des cultures, qu’ils soient nouveaux ou bien connus.

« Un avertisseur s’occupe d’une culture ou d’un groupe de cultures, par exemple les petits fruits, la pomme de terre, etc. Quand il y a un insecte exotique qui risque d’arriver dans une culture, on s’associe avec ces réseaux pour faire des dépistages ciblés sur ces ravageurs », explique le biologiste-entomologiste Jean-Philippe Légaré, qui travaille au Laboratoire d’expertise et de diagnostic en phytoprotection du MAPAQ.

Du côté du laboratoire, surveiller de nouvelles espèces fait partie des habitudes, qu’il s’agisse d’insectes qui viennent d’ailleurs comme d’espèces locales qui deviennent plus problématiques, selon M. Légaré.

« Dans les dernières années, avec le commerce international, puis probablement les changements climatiques, c’est sûr qu’il y a de plus en plus de risques associés à [ces] espèces, explique-t-il. S’ajoute à cela le fait qu’on a des cultivars qu’on peut cultiver plus au nord […], les ravageurs suivent ces cultures-là aussi. »

L’arrivée sur le continent américain du fulgore tacheté, cet insecte aux couleurs vives qui ressemble à un papillon, mais n’en est pas un, puisqu’il appartient à l’ordre des hémiptères, comme les pucerons et les punaises, est d’ailleurs une conséquence du commerce international.

« Sa propagation sur de longues distances est facilitée par le transport humain de matériel infesté ou d’objets contenant des masses d’œufs », peut-on lire sur le site Web IRIIS phytoprotection, géré entre autres par le Laboratoire d’expertise et de diagnostic en phytoprotection.

Sa présence dans l’État de New York, à seulement 45 km de la frontière ontarienne et de la région viticole de Niagara, laisse donc présager le risque de son arrivée prochaine au Canada.

En s’alimentant de la sève de plantes, le fulgore tacheté peut causer d’importantes pertes dans les vignobles ainsi que dans les cultures fruitières et forestières.

Pour le moment, autant l’ACIA que le MAPAQ misent sur la sensibilisation — des affiches sont installées dans les haltes routières par exemple, afin que les personnes revenant des États-Unis vérifient la présence de l’insecte sur leur véhicule.

« Normalement, on va mettre des pièges dans les endroits où le risque d’introduction est le plus élevé. Dans ce cas-là, on aurait mis ça dans les vignobles proches des voies de transport. Sauf que pour [le fulgore tacheté], il n’y a pas de méthode de capture actuellement qui permet de [le] piéger », précise M. Légaré.

Le rôle potentiel des changements climatiques

Si l’entomologiste Jean-Philippe Légaré estime difficile de mesurer l’impact des changements climatiques sur la présence de nouveaux ravageurs, certaines modifications du climat jouent tout de même un rôle.

« Les hivers plus doux qu’on a dans les dernières années peuvent aider surtout au niveau de la survie hivernale, puis ça, c’est vrai pour les insectes exotiques et pour les insectes indigènes. On le voit chez certains ravageurs, aussitôt qu’il y a un hiver qui est plus doux, les populations au printemps sont plus élevées », observe-t-il.

Des étés plus longs sont également appréciés des insectes, qui sont des animaux à sang-froid dont le métabolisme est influencé par la température.

« Par exemple, si un insecte faisait dans le passé une génération par année, aujourd’hui, il y a certains insectes qui sont capables de faire deux générations, qui vont faire deux stades d’œufs durant l’année », explique-t-il.

Les changements climatiques sont par ailleurs d’ores et déjà observés en agriculture, et notamment en viticulture. Le géographe Frédéric Lasserre, qui a notamment étudié le développement des vignobles canadiens et l’impact des changements climatiques, observe un réchauffement à travers l’ensemble du Québec.

« Il y a très clairement une augmentation du nombre de degrés-jours cumulés au cours d’une année. Ça veut dire qu’au cours de la saison de croissance — du printemps jusqu’à la récolte, la chaleur a augmenté, ce qui permet une maturation plus rapide et plus efficace de la plupart des ceps de vignes », explique le professeur au département de géographie de l’Université Laval.

Ces changements de températures viennent avec leur lot d’adaptations. D’un côté, on peut envisager la plantation de nouveaux cépages au Québec ainsi que plus au nord dans la province, mais d’un autre, cela vient avec certains risques. Les hivers plus doux pourraient par exemple compromettre la production de vins de glace.

« Il y a aussi le risque biologique. Avec le réchauffement, viennent au Québec un certain nombre de parasites, de maladies qui n’existaient pas jusqu’à présent, dont on était protégé grâce aux températures froides en hiver », indique M. Lasserre.

Dans d’autres cultures que la vigne, l’arrivée il y a quelques années au Québec d’un insecte pourrait « probablement » être liée aux changements climatiques, aux hivers plus doux et à la saison de croissance plus longue, note M. Légaré.

« En 2018, le perceur de la courge, [qui] a été toujours été un ravageur d’importance dans la plupart des cultures de cucurbitacées aux États-Unis, a [été] détecté pour la première fois en Montérégie, puis, depuis, les populations se sont réparties sur l’ensemble des régions productrices de cucurbitacées au Québec », indique l’entomologiste.

La larve de ce papillon s’enfonce dans les tiges des plants de courge et de melon pour s’en nourrir, provoquant leur flétrissement.

Des études pour s’adapter

Pour mieux comprendre les insectes qui affectent les cultures québécoises, des projets sont mis sur pied pour les étudier. C’est le cas pour les ravageurs des fraises, dont les retombées économiques sont importantes, le Québec en étant la première province productrice au Canada.

Depuis l’an dernier, l’équipe du professeur de phytopathologie Edel Pérez Lopez de l’Université Laval, étudie notamment les cicadelles dans la culture de la fraise et leur rôle en tant que vecteurs de maladies virales et bactériennes dans le cadre du programme Innov’Action agroalimentaire du MAPAQ et avec le soutien de Mitacs.

« On a trouvé beaucoup plus d’insectes et qu’il y a aussi beaucoup d’insectes qui sont complètement nouveaux dans la province, voire tout l’est du Canada. [Ils] peuvent transmettre différentes maladies bactériennes et virales », observe de manière générale M. Pérez Lopez.

En particulier, il a cherché quelle est l’espèce de cicadelle qui transmet la maladie du pétale vert qui affecte la fraise, puisque 20 cas ont recensé cette année, contre 23 en 10 ans.

Sur la quarantaine d’espèces recensées, 11 sont « complètement nouvelles » pour la province, selon M. Pérez Lopez.

En étudiant les cicadelles, le professeur et son équipe du laboratoire Edelab espèrent mieux comprendre leur fonctionnement et proposer des moyens de lutte aux producteurs agricoles, avec lesquels ils travaillent. L’objectif serait notamment de réduire la quantité d’insecticides — en les utilisant mieux — et de développer des méthodes de lutte biologique.

Les premières conclusions sont attendues pour la fin de l’année.

Des nouveaux insectes ravageurs qui pourraient affecter les cultures au Québec

  • L’anthonome du fraisier, détecté en Colombie-Britannique en 2019,
  • Le fulgore tacheté, qui touche vignobles et arbres aux États-Unis,
  • La mouche du bleuet, présente dans plusieurs États américains ainsi que dans les provinces des Maritimes et qui a déjà été observée dans le sud-ouest du Québec.