Les sécheresses historiques de l’été 2022 le prouvent : il faudra apprendre à réutiliser les eaux usées, a averti en août la Commission européenne. Même au Québec, où par endroits la rareté de l’eau commence à causer de sérieux maux de tête, cette idée fait timidement son chemin.

Benoit Barbeau, professeur à Polytechnique Montréal et spécialiste du traitement des eaux, raconte avoir déjà bu un verre issu des eaux usées recyclées de Singapour, grande championne en matière du traitement de l’eau. « Elle était très bonne. Si je ne l’avais pas su, je n’aurais rien remarqué. »

Comme quoi la chose est possible. Y compris au Québec, dit Benoit Barbeau. Technologiquement, on sait comment faire – on pourrait très bien transformer les eaux usées des égouts en eau potable. « Le plus grand défi, indique M. Barbeau, c’est la réglementation en place au Québec, qui n’est pas pensée pour cela. »

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Benoit Barbeau, professeur à Polytechnique Montréal et spécialiste du traitement des eaux

« Et bien sûr, il y a toujours des enjeux économiques. Ça doublerait le coût du traitement de l’eau, explique-t-il. La question : combien les gens sont-ils prêts à payer ? »

Oui, ce serait cher, mais pour mettre les choses en perspective, M. Barbeau souligne que si l’on prenait pour le faire les milliards destinés à la construction d’un troisième lien, à Québec, l’épuration de l’eau serait nettement supérieure à la situation actuelle. « Et on pourrait s’attaquer sérieusement au problème des micropolluants présents dans les eaux usées au Québec », ajoute-t-il.

Car dans la province, un problème demeure : les produits pharmaceutiques ne sont toujours pas éliminés par les filières de traitement et aboutissent donc dans les cours d’eau.

Un pas est à tout le moins en voie d’être franchi à Montréal, où des travaux majeurs sont en cours à la station d’épuration de l’est de Montréal Jean-R. -Marcotte pour mettre en place un processus de désinfection à l’ozone, ce qui améliorera considérablement la qualité de l’eau traitée par la station. « Il sera bientôt possible d’éliminer presque tous les virus, les bactéries, mais aussi les produits pharmaceutiques de l’eau qui y sera traitée », annonce la Ville, qui prévoit que tout sera terminé en 2025.

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La station d’épuration de l’est de Montréal Jean-R. -Marcotte

L’eau sera ainsi plus propre, précise Hugo Bourgoin, des relations médias à la Ville, mais pas assez pour qu’elle soit bonne à la consommation.

À Montréal, la question se pose en termes purement environnementaux, l’eau étant très abondante. Mais par endroits, elle vient carrément à manquer.

À Saint-Rémi, sur la Rive-Sud, la municipalité a dû se résoudre à acheter de l’eau par grands camions-citernes.

À Saint-Lin-Laurentides, où la construction résidentielle s’est faite à la vitesse grand V, l’accès à l’eau potable a été le gros enjeu des élections municipales de 2021. En mai, la Ville a décrété qu’étaient prohibés l’arrosage de pelouse, le remplissage de piscine en tout temps et l’utilisation d’eau pour laver une cour, une voiture, une remorque, un bateau, etc.

Quelques avancées 

En Europe, des incitatifs réglementaires et financiers pourraient faire en sorte que plus de 6 milliards de mètres cubes d’eaux usées traitées non potables soient réutilisés chaque année d’ici 2025, lance la Commission européenne.

Au Québec, on est loin du compte, malgré quelques avancées.

À Saint-Esprit, dans Lanaudière, la rareté de l’eau a amené l’usine d’abattage et de découpe de porcs Olymel, qui puisait de 1300 à 1500 mètres cubes par jour à même la nappe phréatique, à innover. Avec l’aide de la firme Axor (aujourd’hui FNX INNOV) et après maintes démarches pour que la réglementation l’autorise, l’usine réutilise 30 % d’eau depuis 2014.

À Vancouver, évoque Yves Comeau, professeur à Polytechnique Montréal et spécialiste des eaux usées, « la chaleur des eaux usées est utilisée pour le chauffage de bâtiments résidentiels et institutionnels ».

Certains chercheurs étudient aussi la possibilité de réutiliser les eaux jaunes (de l’urine) pour en tirer de l’azote et du phosphore comme fertilisants agricoles. Mais là encore, la présence des composés pharmaceutiques qui s’y trouvent soulève des inquiétudes, souligne M. Comeau.

Lisez notre article « Vermont : de l’urine humaine transformée en engrais »

À Saint-Hyacinthe, par ailleurs, on s’assure d’extraire des ressources énergétiques des eaux usées. La Ville se félicite d’être « l’une des premières villes d’Amérique du Nord à produire du biogaz à partir des résidus organiques des entreprises agroalimentaires de la région. Le méthane ainsi produit sert entre autres à développer les véhicules et les édifices municipaux ».

N’empêche, aujourd’hui, la presque totalité des eaux usées qui ont été traitées est rejetée dans les rivières et les lacs, ce qui en fait à tout le moins « de la réutilisation indirecte », fait-il observer.

Un grand gaspillage 

Le portrait, au Québec, demeure en général celui d’un grand gaspillage, à commencer par Montréal. D’emblée, les fuites dans le réseau de distribution d’eau nous ont fait perdre 26,2 % de l’eau émanant des usines de traitement d’eau potable, selon le bilan 2020 de l’usage de l’eau de la Ville de Montréal.

Par habitant, Montréal produit l’équivalent de 729 L par personne par jour.

En comparaison, fait observer Yves Comeau, Haïti en est à 15 L d’eau par personne par jour et le Mozambique, à 5 L d’eau par personne par jour, ce qui est bien en deçà de la quantité minimale d’eau nécessaire à la satisfaction des besoins fondamentaux.

En savoir plus
  • Au 3rang
    En matière de débit moyen, la station d’épuration de Rivière-des-Prairies est l’une des plus grandes au monde (après celles du Caire et de Chicago).
    Source : Yves Comeau, professeur à Polytechnique Montréal et spécialiste des eaux usées