Le premier ministre François Legault estime qu’il est impossible que le Québec devienne carboneutre d’ici 2050 sans construire de nouveaux barrages hydroélectriques. Or, le réservoir d’un barrage peut relâcher d’importantes quantités de gaz à effet de serre (GES), particulièrement dans les 20 premières années suivant sa construction. Une nouvelle étude menée par des chercheurs québécois mesure justement l’évolution de ces émissions et leur ampleur.

Barrages et GES

Contrairement à la croyance populaire, l’hydroélectricité n’est pas une source d’énergie carboneutre. Les barrages hydroélectriques émettent bel et bien des gaz à effet de serre, plus particulièrement du CO2 et du méthane. Une récente étude menée par des chercheurs de l’UQAM permet de mesurer leur ampleur et leur évolution dans le temps. Selon le professeur Yves Prairie, du département des sciences biologiques de l’UQAM, ce n’est pas la première fois qu’on mesure les émissions des grands barrages, mais « un portrait de leur évolution au fil des ans » est assurément une première. L’étude, qu’il a cosignée avec trois autres chercheurs, est basée sur les données et les projections de 9195 réservoirs sur cinq continents entre 1900 et 2060. Elle vient tout juste d’être publiée dans la revue Nature Geoscience.

Inonder des territoires = GES

Pour obtenir un barrage hydroélectrique, il faut créer un réservoir en inondant un territoire. Or, cette opération provoque une rapide décomposition des matières organiques qui s’y trouvent, entraînant du même coup une hausse des émissions de CO2. Celles-ci sont plus importantes dans les 20 années suivant la construction d’un barrage, avant de décliner par la suite, explique Yves Prairie, qui est également titulaire de la Chaire UNESCO en changements environnementaux à l’échelle du globe de l’UQAM. L’étude a permis d’établir que c’est en 1987 que les émissions de dioxyde carbone issues des grands réservoirs ont atteint leur maximum. Une conclusion logique quand on sait que la majorité des grands barrages dans le monde ont été érigés dans les années 1950 à 1970. Le professeur Prairie rappelle néanmoins que ces émissions, même si elles diminuent, demeurent stockées dans l’atmosphère pendant plusieurs décennies. Un peu à l’image d’une baignoire : même si on ralentit le débit d’eau, celle-ci continue de se remplir.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Yves Prairie, professeur à l’UQAM et auteur de l’étude sur les émissions de GES des barrages

Gare au méthane

Les émissions globales de CO2 des grands réservoirs seraient comparables aux émissions annuelles du secteur des déchets ou celui de la production de solvants, très loin derrière les grands émetteurs comme l’énergie, les transports ou l’agriculture. Une des variables dont il faut aussi tenir compte, selon Yves Prairie, c’est le type de territoire qui est inondé. « Si le territoire est très pentu ou s’il est plat, le résultat ne sera pas le même. » La quantité de matière organique qui se trouve inondée varie en effet selon la topographie. Mais l’étude intitulée Reservoir CO2 and CH4 emissions and their climate impact over the period 1900-2060 s’intéresse également au méthane, gaz à effet de serre jusqu’à 80 fois plus puissant que le carbone bien que sa durée de vie dans l’atmosphère soit beaucoup plus courte. Et les résultats sont plus inquiétants.

Des émissions en hausse

Selon les travaux du professeur Prairie et de ses collègues Cynthia Soued, Sara Mercier-Blais et John Harrisson, le méthane provenant des réservoirs de la planète représentait 6 % des émissions mondiales de ce gaz au début des années 2000. Une proportion qui pourrait bien augmenter au cours des prochaines années avec l’arrivée de nouveaux barrages, particulièrement dans des pays au climat tropical. C’est que le méthane aime bien la chaleur : celui-ci est notamment produit par les bactéries qui s’accumulent dans un réservoir. Dans les pays nordiques, l’eau des réservoirs est plus froide et contient donc beaucoup moins de bactéries propices à la formation de méthane. Mais ce n’est pas le cas des barrages situés dans l’hémisphère Sud, qui sont de plus en plus nombreux. D’ici 2040, l’étude estime que 32 % des barrages seront situés en zone tropicale ou subtropicale. Plusieurs pays comme la Chine ou l’Inde construisent d’ailleurs de nouveaux barrages depuis quelques années.

Des solutions pour les nouveaux barrages

Si de nouveaux barrages doivent être construits, Yves Prairie espère que les décideurs tiendront compte des émissions de GES au moment de leur conception. « La concentration de méthane est plus importante en profondeur, surtout dans les eaux plus chaudes », explique-t-il. En installant les prises d’eau d’un barrage plus près de la surface, on pourrait réduire de façon importante les émissions de méthane, ajoute-t-il. Il cite à titre d’exemple un barrage en Malaisie où l’exploitant aurait pu réduire ses émissions de méthane de 90 % en déplaçant de quelques mètres la prise d’eau. Une option qui n’a malheureusement pas été retenue. Le professeur dit comprendre que cette solution peut difficilement être introduite pour des barrages existants, mais qu’elle est tout à fait envisageable pour les nouveaux ouvrages. « Quand le carbone aura un vrai prix [qu’il sera plus élevé que les tarifs actuels], ça va peut-être influencer les décideurs », conclut-il.

En savoir plus
  • 53 %
    L’étude prévoit que les émissions de méthane issues des eaux profondes des réservoirs (phénomène de dégazage) vont augmenter de 53 % d’ici 2040 en raison notamment de la construction de nouveaux barrages dans les régions tropicales et subtropicales.
    Source : Reservoir CO2 and CH4 emissions and their climate impact over the period 1900-2060
    30 %
    Une centaine de pays se sont entendus l’an dernier pour réduire de 30 % leurs émissions de méthane d’ici 2030.
    Source : Conférence de Glasgow sur le climat