Il faut sans plus tarder créer des aires protégées et revoir notre gestion des forêts, conclut la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards. Pendant ce temps, Québec cède à la pression d’Ottawa et promet d’en faire plus… l’été prochain.

« Il y a urgence d’agir » pour assurer la survie du caribou, affirme la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards dans son rapport publié lundi, qui écorche le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.

« Le temps a déjà hypothéqué lourdement la situation [et] nous risquons de franchir un point de non-retour », écrivent les commissaires, qui constatent que le gouvernement est conscient « depuis plus d’une vingtaine d’années » des problèmes qui affectent l’espèce.

Leur rapport détaille 35 recommandations au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), dont la première lui enjoint de « procéder le plus rapidement possible à l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie de protection et de rétablissement du caribou forestier », qui se fait attendre depuis des années.

D’ici là, le MFFP devrait implanter immédiatement des mesures de protection des grands massifs de forêts matures, qui constituent l’habitat essentiel de ce grand cervidé, suggère la Commission.

Tous les territoires qui font l’objet de projets d’aires protégées et qui sont localisés dans l’aire de répartition des caribous forestiers et montagnards devraient être mis en réserve pour les protéger des coupes forestières, précise le rapport, qui ajoute que des aires protégées additionnelles « de bonnes dimensions » devront aussi être créées.

La Commission suggère la création d’un « Grand parc national pour le caribou et la biodiversité », qui servirait de « police d’assurance » à la pérennité du caribou forestier, en agrandissant le projet d’aire protégée Manouane-Manicouagan.

Elle recommande également d’assurer une connectivité entre les aires protégées projetées du réservoir Pipmuacan et de la rivière Péribonka.

Un moratoire sur l’attribution de tout nouveau bail de villégiature dans l’aire de répartition du caribou est aussi recommandé.

Scinder le MFFP

La responsabilité sous un même ministère de la protection de la faune et de l’aménagement des forêts devrait être étudiée, estime la Commission.

Le rapport critique d’ailleurs les deux scénarios de protection élaborés par le MFFP en prévision de la Commission – l’un impliquant une réduction de la récolte forestière pour protéger le caribou et l’autre ne prévoyant aucun impact additionnel sur la récolte.

Ces deux scénarios mettaient « exagérément et exclusivement l’accent sur les impacts forestiers des mesures de protection du caribou », déplore la Commission, qui avertit que réduire le problème à un choix entre le caribou ou l’aménagement forestier conduira toujours à une impasse.

Cet antagonisme est stérile et ne peut être porteur d’une véritable solution.

Extrait du rapport de la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards

La Commission ne recommande donc aucun des deux scénarios ; elle enjoint plutôt au MFFP de s’inspirer de ses recommandations pour bonifier son approche.

Surtout, elle estime « inutile et même illusoire » de protéger le caribou sans revoir la gestion des forêts au Québec pour « développer un aménagement véritablement durable de la ressource ».

L’abandon exclu

La Commission fait plusieurs recommandations spécifiques aux populations de caribous isolées de Val-d’Or, de Charlevoix et de la Gaspésie, que le MFFP proposait d’abandonner dans son scénario sans impact sur la récolte forestière.

« L’abandon de ces populations de caribous n’apparaît aucunement comme une option envisageable et tolérable », écrivent les commissaires, qui craignent qu’une telle avenue crée un précédent.

Québec devrait créer un programme d’élevage de caribous et de réintroduction en forêt pour ces trois populations isolées, aider financièrement la transition de certaines collectivités vers une économie moins dépendante des activités forestières et accélérer les travaux de fermeture des chemins forestiers.

Plus d’excuses

Ce rapport constitue un nouveau rappel à l’ordre du gouvernement, ont estimé différentes organisations de défense de l’environnement.

« Les solutions pour empêcher la disparition du caribou étaient déjà connues, mais avec ce rapport en main, le gouvernement du Québec n’a plus d’excuses a déclaré la directrice principale de la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs (SNAP), Alice de Swarte.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

La directrice principale de la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs (SNAP), Alice de Swarte

« La voilà, la stratégie attendue depuis des années », a ironisé la chargée de projets en biodiversité et forêt à Nature Québec Marianne Caouette, estimant que rien ne justifie d’attendre davantage, « sauf si le gouvernement cherche secrètement à gagner du temps pour ne pas agir ».

Le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, a refusé d’accorder une entrevue à La Presse ; dans un communiqué, il a indiqué que les recommandations de la Commission indépendante « feront maintenant l’objet d’analyses par les spécialistes du Ministère qui travaillent à l’élaboration de la stratégie à venir en 2023 ».

Québec accepte d’en faire plus pour protéger le caribou

Québec et Ottawa ont accompli des « progrès » dans leurs négociations visant à accentuer la protection des caribous, ont-ils annoncé lundi dans un communiqué commun, qui ne comporte toutefois aucune annonce concrète. Le gouvernement Legault « souhaite prendre des mesures additionnelles importantes » pour sauver l’espèce et s’engage à publier sa stratégie finale « d’ici la fin du mois de juin 2023 ». Cette volonté est vue comme « un pas dans la bonne direction » par différents observateurs, qui regrettent toutefois que Québec vise « le minimum ».

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  • 550
    Nombre de personnes ayant participé aux audiences publiques de la Commission
    source : Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards
    147
    Nombre de mémoires déposés à la Commission
    source : Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards