Une vingtaine de municipalités de l’Outaouais lancent une offensive contre les projets de mines de graphite dans leur région, dont ils craignent les impacts sur les lacs et la qualité de vie des résidants.

Dès lundi, le slogan « Incompatible avec l’activité minière » sera placardé dans 21 municipalités de la MRC de Papineau, en Outaouais, en appui au Regroupement de protection des lacs de la Petite-Nation (RPLPN), qui mène la charge.

« C’est un rouleau compresseur qui va passer sur le sud du Québec. Il faut réglementer avant que le rouleau écrase tout », alerte Louis St-Hilaire, porte-parole du RPLPN.

« Le rouleau compresseur », c’est l’exploration minière liée au graphite.

Ce minerai — essentiel pour fabriquer les batteries de voitures électriques — est indispensable dans la course à l’électrification de Québec.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le graphite est un ingrédient nécessaire à la fabrication des batteries de voitures électriques.

À Saint-Michel-des-Saints, dans Lanaudière, la mine à ciel ouvert de la société Nouveau Monde Graphite, dont la construction a été lancée à l’été 2021, tirera bientôt des ressources du sol.

Un autre projet de mine de graphite, La Loutre, situé entre Duhamel et Lac-des-Plages, est à l’étape des forages d’exploration.

Louis St-Hilaire dénonce ce qu’il nomme « la ruée vers l’or dans Papineau », dont le sous-sol, comme ailleurs en Outaouais, est riche du précieux minerai.

« Le projet de mine dans notre coin est entouré de lacs et d’immenses milieux humides », déplore M. St-Hilaire.

Le préfet de la MRC de Papineau, Benoit Lauzon, ajoute sa voix à la sienne : « Nos citoyens sont très attachés à notre territoire, parsemé de lacs et de cours d’eau exceptionnels. On entend très clairement leur message et nous le partageons : selon les règles actuelles du gouvernement, notre région est incompatible avec l’activité minière », a-t-il réagi dans un communiqué.

En plus de la destruction de milieux naturels, les municipalités redoutent les impacts d’un projet d’une telle envergure sur la qualité de vie des résidants.

« Notre population ne souhaite pas voir d’activité minière à 200 mètres de leur lac », lance le maire de Duhamel, David Pharand, en entrevue avec La Presse.

« Ce sont des territoires qui sont destinés aux loisirs, à la vie au grand air. Les gens ne s’attendent pas à retrouver un parc industriel de plusieurs kilomètres de long », ajoute Louis St-Hilaire.

PHOTO FOURNIE PAR LOUIS ST-HILAIRE

L’installation des pancartes est pilotée par le Regroupement de protection des lacs de la Petite-Nation.

Professeur émérite en ressources minérales à l’UQAM, Michel Jébrak n’est pas surpris que des municipalités montent au créneau contre ces projets miniers.

« Ce type d’action est la norme dans l’industrie minérale », constate le spécialiste de l’exploration minière.

Or, la transition énergétique ne peut se faire sans ressources minérales.

[Les ressources minérales] seront toujours exploitées quelque part. Et dans ce quelque part, il y aura toujours des répercussions.

Michel Jébrak, professeur émérite en ressources minérales à l’UQAM

Néanmoins, dit-il, « c’est un enjeu de responsabilité politique collective où les entreprises ne constituent qu’un des aspects de la décision ».

Louis St-Hilaire tient à le souligner : la campagne ne s’oppose pas à l’électrification des transports, tout au contraire.

« Mais la façon dont c’est fait présentement, on fait ça avec des lois du passé. […] Il faut réglementer. Il faut protéger nos cours d’eau », plaide-t-il.

Un feu vert controversé

Quand M. St-Hilaire regarde ce qui se passe autour de l’Outaouais, il redoute le pire.

Le site minier de Nouveau Monde Graphite — qui doit devenir la plus grande mine de graphite de l’Occident à terme — continue de diviser la communauté.

C’est que le projet avait obtenu le feu vert de Québec en 2021, malgré le fait que certaines études environnementales n’avaient pas encore été complétées.

En juin dernier, Le Devoir a rapporté que des citoyens avaient entrepris d’effectuer eux-mêmes des tests sur plusieurs cours d’eau à proximité du site, craignant la présence de rejets acides et de résidus miniers.

Pour Louis St-Hilaire, c’est un exemple qui montre clairement « qu’on ne peut pas faire vraiment confiance au gouvernement ».

« Quand on a parlé [au ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles], il nous a écoutés, mais on ne sent pas qu’il veut changer quoi que ce soit là-dedans. Il y a un laisser-faire du côté du gouvernement. C’est pratiquement une complicité », dénonce le porte-parole du RPLPN.

Multiplication des titres miniers

Ce qui préoccupe aussi les municipalités, c’est la « multiplication » des claims (titres miniers d’exploration), affirme Louis St-Hilaire.

Car le titulaire d’un claim a le droit exclusif de chercher des substances minérales sur le terrain du domaine de l’État qui en fait l’objet, et ce, pour une période de deux ans.

« Dans notre municipalité, j’ai zéro claim, mais je vois l’ensemble du portrait dans l’Outaouais, Lanaudière, les Laurentides et je vois le problème grimper. Je crains que dès qu’on a un potentiel minier, les claims se multiplient à grande échelle, ce qui crée une inquiétude », dit David Pharand.

Pour se préparer à l’arrivée de l’industrie minière, le maire de Duhamel presse Québec d’accorder un plus grand pouvoir aux MRC.

« Laissez-nous les outils pour qu’on puisse cohabiter avec les mines », plaide-t-il.

En savoir plus
  • 4 millions
    Nombre de batteries que le Québec pourrait fabriquer chaque année avec ses réserves connues de lithium, de graphite, de nickel et de cobalt
    Source : ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec