Le plus grand site d’enfouissement de la province, situé à Lachenaie, ferme ses portes à certains clients pour plus d’un mois afin d’éviter de dépasser la capacité de tonnage annuel autorisée par Québec. Des clients touchés ne savent plus vers où se tourner, mais le ministère de l’Environnement assure qu’il reste de la place ailleurs.

« Nous devons, malheureusement, prendre la mesure sans précédent d’arrêter temporairement l’élimination de vos [matières résiduelles non dangereuses], à compter du lundi 27 juin, et jusqu’au 31 juillet 2022 », peut-on lire dans un avis du Complexe Enviro Connexions (CEC) envoyé le 17 juin dernier.

La génération de matières résiduelles « est beaucoup plus élevée qu’attendu, ceci étant, entre autres, causé par la forte reprise économique », explique le CEC dans l’avis.

Plus de 1,3 million de tonnes de déchets y ont été enfouies en 2019, ce qui en fait le plus important lieu d’enfouissement technique de la province. Situé dans le secteur Lachenaie de Terrebonne, le CEC accueille des matières résiduelles de Montréal, de Laval et de toute la Montérégie, entre autres.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Situé dans le secteur Lachenaie de Terrebonne, le CEC accueille des matières résiduelles de Montréal, de Laval et de toute la Montérégie, entre autres.

« Les villes n’ont pas reçu cet avis-là », assure toutefois Michel Binette, directeur principal des relations gouvernementales et du développement des affaires chez Waste Connections Canada, propriétaire du CEC.

La fermeture ne vise que les clients commerciaux et ceux avec qui le site n’a pas d’engagement contractuel.

TTI Environnement, qui fait la collecte de matières résiduelles chez des clients tels que Postes Canada, Place Ville Marie et des édifices du gouvernement fédéral, est l’une des entreprises touchées. Son propriétaire, Stéphane Théolis, n’en revient pas.

« Nous, on a l’odieux de trouver un débouché alors que tous les sites d’enfouissement sont déjà pleins ! », s’exclame-t-il. « Il y a un enjeu de salubrité, ça risque de plomber le système de collecte des déchets. Je ne peux pas dire à la Place Ville Marie que je ne ramasse plus leurs matières résiduelles. »

Une tendance répandue

Le ministère de l’Environnement, qui accorde les autorisations de tonnage annuel, n’y voit pas de réel problème.

« C’est vrai que Lachenaie a atteint un peu plus rapidement que prévu le maximum prévu à son autorisation », admet Martin Létourneau, directeur général des politiques en milieu terrestre et du développement durable au ministère. Or, « l’information qu’on a, c’est qu’il y a encore une marge de manœuvre pour recevoir des matières résiduelles » dans d’autres sites de la région, soutient-il.

Le CEC n’est pourtant pas le seul à faire face à ces difficultés. « C’est sûr que nous aussi, si on continue à voir la même tendance, on va être plein avant la fin de l’année », dit Yazan Kano, vice-président régional de Matrec, qui exploite un site d’enfouissement à Sainte-Cécile-de-Milton.

Je pense que tout le monde est dans la même situation.

Yazan Kano, vice-président régional de Matrec

« Nous pouvons confirmer que nous atteignons présentement les capacités maximales annuelles autorisées », indique Martin Dussault, directeur des affaires publiques chez Waste Management (WM) Québec, qui exploite des lieux d’enfouissement à Sainte-Sophie, Drummondville et Lachute. Il précise toutefois que l’entreprise est en mesure d’honorer ses contrats, pour l’instant.

Une demande faite à la dernière minute, dit le Ministère

Des documents obtenus par La Presse suggèrent qu’une demande pour rehausser le tonnage autorisé au CEC cette année a été faite aussi tôt que le 4 février, ce que nie le Ministère. Ce dernier affirme avoir reçu la demande le 1er juin seulement, un peu plus de deux semaines avant l’avis de fermeture temporaire. « Le Ministère va analyser la demande au mérite, on a eu des documents complémentaires la semaine dernière, le 15 juin », précise M. Létourneau.

« Le Ministère ne s’est pas ajusté en conséquence, malgré le fait que cette crise-là était annoncée depuis des mois », dénonce une source de l’industrie qui n’était pas autorisée à commenter le dossier publiquement.

On est rendu à un point de rupture. […] C’est une situation de crise à la grandeur de la province.

Une source de l’industrie qui n’était pas autorisée à commenter le dossier publiquement

Cette source craint que des clients frustrés en viennent à se débarrasser de leurs matières résiduelles illégalement, sur le bord des routes.

« Nous travaillons activement avec le gouvernement du Québec afin de répondre à la demande urgente et croissante de génération de matières résiduelles que nous observons au Québec », déclare simplement le CEC en réponse aux demandes de La Presse. M. Binette, de Waste Connections, n’a pas souhaité s’avancer sur cette question.

Plus de déchets à éliminer, affirme l’industrie

Dans son rapport publié en janvier dernier sur la gestion des déchets au Québec, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) notait — sur la base de données de 2019 — que « les quantités de matières résiduelles éliminées sur l’ensemble du territoire québécois ont augmenté au cours des dernières années ».

Une situation qui s’est exacerbée depuis, selon les intervenants de l’industrie consultés, en raison des bouleversements liés à la pandémie puis de la reprise économique subséquente.

« Depuis le début de la pandémie, les lieux d’enfouissement techniques constatent une augmentation importante des déchets générés », note le Conseil des entreprises en technologies environnementales du Québec (CETEQ), dont les membres incluent le CEC, WM et Matrec, dans une déclaration transmise en réponse aux questions de La Presse.

Mais le ministère de l’Environnement conteste ces affirmations et soutient pour sa part que « les quantités de matières éliminées en 2021 n’ont pas augmenté par rapport à 2019 ».

En savoir plus
  • 724 kg/habitant
    Quantité moyenne de matières résiduelles éliminées en 2019. Une telle quantité n’avait pas été observée depuis 2011.
    525 kg/habitant
    Quantité moyenne visée pour 2023 par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Le BAPE est d’avis que l’atteinte de l’objectif est improbable.
    SOURCE : L’état des lieux et la gestion des résidus ultimes, RAPPORT DU BAPE, JANVIER 2022