Un poisson pêché sur trois ne parvient pas jusque dans nos assiettes, selon l’Agence des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Aussi choquantes soient-elles, les images d’un banc de dizaines de milliers de merlans morts rejetés dans l’Atlantique en février, au large de La Rochelle, en France, n’illustrent qu’une infime partie du gaspillage des ressources des mers et des océans.

Accident ou rejet intentionnel ?

PHOTOGRAPHIE ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Près de 100 000 poissons morts au large de La Rochelle, en France, en février dernier. Si l’armateur du Margiris soutient qu’un filet a lâché, Sea Shepherd croit plutôt à un geste intentionnel.

Un accident. Un filet qui aurait lâché. C’est ce qu’a soutenu l’armateur du Margiris, l’un des plus gros navires de pêche au monde, long de plus de 130 m, quand les photos saisissantes d’un banc de dizaines de milliers de poissons morts ont été diffusées par l’organisme Sea Shepherd. Qui, lui, croit plutôt à un geste intentionnel. « La réglementation, a rappelé l’organisme, interdit les rejets de prises dites accessoires. Normalement, l’armateur est obligé de retourner à quai, de débarquer et de déclarer ses captures. Cela lui coûte du temps, du carburant et donc de l’argent. La tentation est grande finalement de relarguer tout cela à la mer […] et de continuer à pêcher. »

La France a ouvert une enquête visant à déterminer si accident il y a réellement eu et ses circonstances.

« Navires sombres »

Effectué en haute mer à l’abri des caméras, le rejet intentionnel de poissons est néanmoins connu des autorités. En 2021, le gouvernement canadien a lancé un programme de détection des « navires sombres », ces bateaux dont les dispositifs de transmission de leur emplacement ont été éteints pour faire de la pêche illégale en toute impunité. « Ce système à la fine pointe de la technologie aidera l’Équateur et les petits États insulaires de la région du Pacifique à intervenir en matière de pêche illégale, qui a des répercussions sur les îles Galapagos et sur la sécurité alimentaire et économique de sa population », a déclaré en 2021 Bernadette Jordan, alors ministre canadienne des Pêches et des Océans.

23 milliards de dollars par an

Selon le gouvernement canadien, la pêche non déclarée et non réglementée entraîne la perte de quelque 26 millions de tonnes de poissons capturés, soit l’équivalent de quelque 23 milliards de dollars par an pour l’économie mondiale.

La pêche illégale et la surpêche ne sont pas seules en cause. La pollution, le manque d’infrastructures dans les pays en voie de développement pour garder bien au frais le poisson jusqu’à sa consommation et les préférences alimentaires dans les pays industrialisés sont aussi à l’origine du gaspillage.

65 % des poissons gaspillés

Dans des pays en voie de développement, jusqu’à 65 % des poissons gaspillés le sont en raison d’un manque de technologies appropriées pour bien conserver le poisson jusqu’à ce qu’il puisse arriver dans l’assiette, selon l’Agence des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.

Des lacunes en matière de gouvernance et de réglementation (ou dans sa mise en application) expliquent les autres pertes.

Cri d’alarme de 290 chercheurs

Dans une lettre ouverte publiée dans Science, en octobre, 290 chercheurs issus de 46 pays ont réclamé de l’Organisation mondiale du commerce un accord qui bannirait diverses pratiques dommageables. Les signataires montrent notamment du doigt les subventions qui réduisent le coût du carburant et celles qui aident de diverses façons des armateurs dont les pratiques pillent la mer de ses ressources.

Les taux de consommation de poisson sont appelés à doubler d’ici 2050 (Agence des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture).

Des filets de pêche intelligents

Y a-t-il moyen de stopper ou du moins de freiner toutes ces pertes ? En complément de réglementations plus contraignantes et d’une meilleure aide aux pays pauvres, la technologie peut être un élément de réponse. En France, des filets de pêche intelligents contre les captures inutiles sont mis à l’essai. Ils permettent de trier le poisson avant même de le remonter à bord des bateaux. Doté de caméras, de capteurs et de puissants logiciels d’analyse, le dispositif informe le pêcheur en temps réel des espèces capturées, de leur taille et de leur abondance.

Si le poisson attrapé n’intéresse pas le pêcheur, une trappe est ouverte et le poisson est relâché.

Plus d’un poisson sur deux issu de l’élevage

Depuis 2015, sur la planète, l’aquaculture dépasse la pêche classique. Plus de la moitié des poissons consommés sont maintenant issus de l’élevage, selon l’Agence des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).