En Nouvelle-Zélande, des quartiers entiers ont été déclarés sinistrés par les autorités parce qu’ils sont trop vulnérables aux changements climatiques. Ce pays est à l’avant-plan de la « gestion du retrait » : comment décider quelles maisons protéger et lesquelles abandonner aux eaux montantes ? Le Québec n’est pas à l’abri de ce débat qui coûtera des dizaines de milliards de dollars en compensations aux propriétaires.

Un fleuve-personne

Matatà et Whanganui. Ces deux villes aux antipodes de l’île la plus peuplée de la Nouvelle-Zélande sont emblématiques des défis à venir pour l’adaptation aux changements climatiques. Matatà, près d’Auckland, a vu en 2019 la fin d’une saga qui dure depuis des glissements de terrain en 2005. Une offre totalisant 12 millions CAN a été déposée pour acheter une cinquantaine de terrains à risque.

PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DU GOUVERNEMENT DE LA NOUVELLE-ZÉLANDE

Les inondations du Whanganui, en Nouvelle-Zélande, en 2015

À Whanganui, le gouvernement s’apprête à proposer 28 millions pour exproprier une trentaine de maisons. Elles ont en commun d’être situées dans une zone ayant connu un débordement catastrophique du fleuve Whanganui en 2015. Ce fleuve est le premier au monde à bénéficier, depuis 2017, d’une personnalité juridique.

D’ici 2050, la Nouvelle-Zélande devra verser des compensations de plus de 100 milliards CAN, soit 50 % de son produit intérieur brut (PIB), à des gens qui perdront leur maison en raison des inondations plus fréquentes. Une nouvelle loi veut encadrer ces expropriations climatiques pour les rendre plus équitables.

PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DE L’UNIVERSITÉ MASSEY

Bruce Glavovic, de l’Université Massey

« La Nouvelle-Zélande est un pays particulièrement sensible aux catastrophes naturelles vu sa faible population [5 millions d’habitants] », explique Bruce Glavovic, de l’Université Massey, près de Wellington. Il est l’un des auteurs d’une étude sur l’expérience néo-zélandaise en gestion du retrait (managed retreat), publiée en 2021 dans la revue Climate Risk Management. « Nous ne pourrons nous permettre de donner une compensation à tout le monde comme on le faisait auparavant. D’un autre côté, il faut faire les choses plus rapidement parce que les gens dont la maison est endommagée deviennent amers quand ils doivent attendre des années avant d’avoir une proposition d’expropriation. » Seulement depuis cinq ans, les coûts des inondations en Nouvelle-Zélande frisent le milliard de dollars canadiens.

PHOTO ARCHIVES THE GUARDIAN

Glissement de terrain à Matatà, en Nouvelle-Zélande, en 2005

Les squatters de Matatà

À Matatà, une ville côtière, le glissement de terrain de 2005 a détruit 27 maisons et en a endommagé 87 autres. Une quinzaine de ces demeures étaient situées dans un quartier qui a été jugé impossible à sécuriser par les autorités. Il offrait – ce n’est pas un hasard – les plus belles vues sur l’océan Pacifique. Une poignée de propriétaires ont refusé l’offre du gouvernement, qui visait aussi les propriétaires de terrains non construits.

« Souvent, dans ces cas, l’expropriation est moins chère que la protection des terrains, dit M. Glavovic. Par exemple, à Whanganui, construire une barrière fluviale coûterait 30 millions NZ [25 millions CAN], et hisser les maisons sur pilotis de 300 000 à 500 000 $ NZ par maison. » Les pilotis ne sont-ils pas utilisés dans plusieurs pays ? « La Nouvelle-Zélande a un gros risque sismique, donc ça multiplie les coûts par trois à cinq, répond M. Glavovic. D’autres pays avec un risque sismique utilisent des pilotis, mais ce sont surtout des pays pauvres où les constructions sont légères, en bois et parfois sans murs, et surtout sans connexion avec l’aqueduc et l’égout. » Un tremblement de terre survenu en Nouvelle-Zélande en 2016 a coûté plus de 2 milliards CAN.

PHOTO D. BAAR, FOURNIE PAR L’UQAM

Philippe Gachon, professeur d’hydroclimatologie à l’UQAM

Le Québec aussi

Le Québec est moins généreux que la Nouvelle-Zélande, avec des plafonds d’expropriations après des inondations de moins de 300 000 $, y compris pour les entreprises. Mais ces barèmes sont déjà suffisamment élevés pour que le Québec ait des problèmes à l’avenir, selon Philippe Gachon, géographe à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

« On a eu des coûts de 300 millions pour les inondations de 2017 et 2019, et ce n’est pas fini, dit M. Gachon. L’État québécois ne pourra pas continuer à payer ces dédommagements aux propriétaires de maisons endommagées, à part si le fédéral continue à payer la note à hauteur de 60 %. Mais il ne faut pas oublier une chose, aux Îles-de-la-Madeleine, sur la Côte-Nord et le long de la 132 en Gaspésie et dans le Bas-du-Fleuve, une partie des gens vont devoir déménager à cause de l’érosion côtière qui augmente. Il va y avoir beaucoup de cas comme Sainte-Flavie dans les prochaines années. » À Sainte-Flavie, une enveloppe de 5,5 millions a été réservée pour dédommager les propriétaires de 24 maisons érigées au bord du Saint-Laurent, jugées indéfendables.

Que faire pour les locataires ?

L’un des problèmes urgents que la Nouvelle-Zélande n’a pas encore résolus est l’aide à apporter aux locataires. « Généralement, on aide au déménagement, mais avec la crise du logement, c’est très difficile de se reloger, dit M. Glavovic. Le problème, c’est que la nouvelle mouture de la loi sur la gestion du retrait est silencieuse sur ce point. Il va clairement y avoir des pressions politiques pour hausser les sommes attribuées pour le déménagement pur et simple, qui est actuellement de 2500 $ NZ. »

Un autre point problématique est le dédommagement des entreprises sur la base de la valeur foncière de leur propriété, ou alors en fonction des revenus futurs. La valeur marchande d’une entreprise propriétaire de son immeuble dépend généralement de ces revenus futurs. « En Nouvelle-Zélande, pour les compensations aux résidences, on fonctionne avec la valeur marchande, mais pour les entreprises, ça pourrait faire exploser la facture », dit M. Glavovic.

PHOTO ANDRÉE LEBEL, ARCHIVES LA PRESSE

Maisons en bordure du Mékong, au Viêtnam

Du Mékong à New York

Au début de mai, dans Science, une étude californienne a estimé que 15 millions de personnes pourraient perdre leur maison dans le delta du Mékong, dans le sud du Viêtnam, si le niveau de la mer grimpe d’un mètre. Cela correspond aux prévisions les plus pessimistes du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Actuellement, plus de 21 millions de personnes y habitent, notamment à Saigon.

« Le Viêtnam est actif depuis plusieurs années dans la gestion du retrait, parce qu’une grande partie de sa population vit sur la côte », explique Géraud de Lassus St-Geniès, spécialiste du droit de l’environnement à l’Université Laval. Cela se traduit par des prêts sans intérêt pour déménager et la création de zones tampons. Dans des pays moins dirigistes, ces zones tampons sont plus difficiles à générer.

« À New York, il y a une forte opposition au relèvement du niveau d’un parc sur l’East River pour servir de zone tampon, dit Mde Lassus St-Geniès. Les voisins ne veulent pas perdre la jouissance du parc pendant la durée des travaux. » Les zones tampons absorbent les crues des eaux, protégeant immeubles et infrastructures.

  • Le Signal en 1967

    PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DE LA MAIRIE DE SOULAC-SUR-MER

    Le Signal en 1967

  • Le Signal aujourd’hui

    PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DE LA MAIRIE DE SOULAC-SUR-MER

    Le Signal aujourd’hui

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Le Signal près de Bordeaux

La France a connu récemment un cas typique des tensions générées par la gestion du retrait. « C’est un immeuble d’appartements construit en 1967 sur la côte près de Bordeaux, Le Signal, dit Mde Lassus St-Geniès. Au fil des tempêtes la plage s’est rapprochée et en 2014, il ne restait que 9 m avant l’immeuble. Les propriétaires des appartements ont dû déménager. Il y a eu une controverse qui s’est finalement terminée l’an dernier, avec un accord de compensation qui a dû faire l’objet d’une loi au Parlement. C’est un bon exemple de l’urgence de déterminer un cadre moins lourd pour gérer le retrait. »

Les 75 propriétaires du Signal recevront 7 millions d’euros, soit 70 % de la valeur de leur appartement.

En savoir plus
  • 700 000
    Nombre de personnes qui verront leur maison inondée à cause d’un débordement de cours d’eau d’ici 2050 en Nouvelle-Zélande
    SOURCE : Université Massey
    72 000
    Nombre de personnes qui verront leur maison inondée à cause d’une tempête côtière d’ici 2050 en Nouvelle-Zélande
    SOURCE : Université Massey