Alors que le ministre fédéral de l’Environnement va recommander un décret en vertu de la Loi sur les espèces en péril pour assurer la survie du caribou forestier, Québec serait de nouveau disposé à négocier avec Ottawa. Mais de qui relève la protection des espèces menacées ? Et pourquoi cette espèce emblématique se retrouve-t-elle tout à coup au cœur d’une bonne vieille querelle fédérale-provinciale ? Explications.

Que se passe-t-il avec le caribou forestier ?

Le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a annoncé jeudi qu’il entendait soumettre au Cabinet une proposition de décret en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP) afin de protéger le caribou forestier au Québec. « Je dois procéder. Je vais présenter dans un avenir rapproché un décret pour protéger le caribou. » M. Guilbeault réagissait alors aux propos lancés la veille par le premier ministre François Legault, qui disait que la protection du caribou relevait exclusivement du provincial. « Selon nos juristes, c’est clairement, les caribous, un champ de compétence du gouvernement du Québec, pas du gouvernement fédéral », a déclaré M. Legault. « Cette affirmation est de toute évidence erronée », a répondu M. Guilbeault, qui précise que l’environnement est plutôt une responsabilité partagée.

Bon, une autre querelle fédérale-provinciale. Qui a raison, cette fois-ci ?

Selon Anne-Sophie Doré, avocate au Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), « il n’y a plus de débat à ce sujet. [L’environnement], c’est bien une compétence partagée entre le fédéral et le provincial ». MDoré signale d’ailleurs qu’il est plutôt rare de voir une loi fédérale qui définit aussi bien les responsabilités de chaque ordre de gouvernement comme le fait la LEP. Même du côté constitutionnel, le débat n’existe plus, soutient l’avocate, qui rappelle que la Cour d’appel fédérale a confirmé le droit d’Ottawa d’intervenir dans une province pour protéger une espèce menacée. Rappelons que la Cour suprême du Canada a refusé d’entendre en 2020 l’appel d’un promoteur contestant l’intervention du fédéral pour sauver une autre espèce en péril. Celui-ci a adopté en 2016 un décret d’urgence pour protéger la rainette faux-grillon, menacée par un projet de lotissement à La Prairie.

Le décret est-il la seule option possible ?

Si aucune action concrète n’est faite rapidement, Ottawa se verra en quelque sorte forcé d’agir pour protéger le caribou forestier au Québec. Dans une lettre transmise au ministre Steven Guilbeault, le 14 avril, le Conseil des Innus de Pessamit lui demande « de recommander au gouverneur en conseil de prendre un décret de protection en vertu de l’article 61 de la Loi sur les espèces en péril d’ici le 15 juillet 2022 ». « À défaut de donner suite à cette demande, nous prendrons toutes les dispositions nécessaires afin de forcer cette action », écrit le vice-chef du conseil, Jérôme Bacon St-Onge. Soulignons qu’une démarche similaire menée par Nature Québec et le CQDE, en 2015, avait mené à un jugement cinglant de la Cour fédérale à l’endroit de l’ancienne ministre de l’Environnement Leona Aglukkaq, qui avait refusé de recommander un décret d’urgence pour la rainette faux-grillon, autre espèce menacée. La Cour avait alors donné six mois à l’ancienne ministre conservatrice pour faire une telle recommandation. Celle-ci a finalement été adoptée par le gouvernement de Justin Trudeau nouvellement élu à l’automne 2015.

Qu’attend Québec pour agir ?

Le gouvernement du Québec a mis sur pied une commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards, et dit vouloir attendre ses recommandations avant d’aller de l’avant avec un plan concret. Une opération qui est décrite comme de la « poudre aux yeux » par plusieurs groupes et experts, d’autant qu’aucun biologiste ne siège à cette commission. François Legault dit que son gouvernement veut trouver le bon équilibre entre les quelque 5000 caribous forestiers toujours en vie et l’industrie forestière, qui pourrait souffrir de l’ajout de nouvelles aires protégées. « Je suis tout à fait d’accord avec M. Legault, ça prend un équilibre, a déclaré jeudi Steven Guilbeault. Mais actuellement, il n’y a pas d’équilibre, nous ne sommes pas en situation d’équilibre [pour le caribou], et tous les scientifiques et les experts s’entendent à ce sujet. »

Comment ça se passe dans les autres provinces où des caribous sont menacés ?

M. Guilbeault a indiqué jeudi que le gouvernement fédéral travaillait notamment en collaboration avec les gouvernements de l’Ontario et de la Colombie-Britannique, où des populations de caribous sont également menacées. Une entente avec l’Ontario serait même annoncée dans les prochains jours. Il sembler que le Québec soit la seule province qui ne travaille pas avec Ottawa pour la protection du caribou, selon Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs au Québec. « Ce qu’on me dit, c’est que le Québec ne collabore pas. » Le cabinet de Steven Guilbeault a cependant indiqué qu’une rencontre entre les sous-ministres fédéral et provincial avait eu lieu mercredi, au cours de laquelle le gouvernement du Québec « s’est engagé à revenir rapidement par écrit » dans ce dossier. À Québec, on confirme qu’une rencontre a eu lieu entre des hauts fonctionnaires mercredi. « Il a été convenu de refaire le point la semaine prochaine pour convenir des éléments d’une nouvelle entente et d’un échéancier pour cette entente-là », explique Florence Plourde, l’attachée de presse de la ministre responsable des Relations canadiennes, Sonia LeBel.

Avec la collaboration de Charles Lecavalier, La Presse

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    Nombre de caribous forestiers toujours en vie au Québec
    Source : gouvernement du Québec