Augmenter la production pétrolière tout en diminuant les émissions de gaz à effet de serre au pays. C’est la promesse faite par le gouvernement de Justin Trudeau pour justifier l’approbation du projet Bay du Nord, au large de Terre-Neuve. Est-ce une option envisageable ? Tour d’horizon de la question.

« Plafonner, ce n’est pas augmenter »

« Quand on dit plafonner, ce n’est pas augmenter. Alors, M. Guilbeault, pourquoi approuvez-vous Bay du Nord ? Est-ce que selon vous, ça permet de réduire les émissions [de gaz à effet de serre] ? » La question a été posée par le député du Bloc québécois Mario Simard au ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, qui témoignait mercredi devant le comité permanent des ressources naturelles de la Chambre des communes. La rencontre portait sur le plafonnement des émissions de gaz à effet de serre du secteur pétrolier et gazier. Dans sa réponse, le ministre a précisé que la Régie de l’énergie du Canada prévoit une hausse de la production pétrolière au pays d’ici 2030. « Malgré cette augmentation de production, ce que nous avons dit depuis toujours, c’est que nous allons nous attaquer aux émissions. « Le GIEC dit [que] pour arriver à respecter la limite de 1,5 °C, il faut que les pays réduisent [leurs émissions] de 43 % d’ici 2030. Notre objectif est de -40 à -45 %. »

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement et du Changement climatique, et Jonathan Wilkinson, ministre des Ressources naturelles, lors de leur témoignage devant la commission permanente des ressources naturelles, ce mercredi à Ottawa

Le Canada pourra donc réduire ses émissions globales tout en augmentant sa production de pétrole ?

En théorie, c’est tout à fait possible. Mais comme le dit l’adage, le diable est souvent dans les détails. Comme l’a rappelé le ministre Steven Guilbeault devant le comité des ressources naturelles, la méthodologie du GIEC dit [que] les émissions sont comptabilisées là où les émissions ont lieu. Si c’est dans le secteur du transport, le secteur industriel… » Dans le cas du pétrole, par exemple, elles sont comptabilisées à deux moments précis : lors de l’extraction et lorsqu’il est brûlé. Si le pétrole est extrait au Canada, les émissions de GES figurent au bilan canadien. Si ce même pétrole est ensuite exporté, les émissions qui en découleront s’ajoutent aux chiffres officiels du pays où il est consommé. Or, environ 85 % des émissions de GES surviennent au moment où le pétrole est brûlé, rappelle Caroline Brouillette, directrice des politiques climatiques au Réseau Action-Climat. « Il n’y a qu’une atmosphère où vont ces GES et elle n’a que faire des frontières. »

Où est le problème ? Le Canada importe aussi du pétrole, c’est alors l’inverse qui se produit. Ça doit bien s’équilibrer ?

« Le Canada est un exportateur net de pétrole », rappelle Normand Mousseau, professeur à HEC Montréal et expert des questions énergétiques. Ce qui signifie que le pays exporte plus de pétrole qu’il n’en importe. En 2020, le Canada a importé pour 30,9 milliards de dollars en pétrole et gaz alors que les exportations ont totalisé 86 milliards de dollars. En 2019, les exportations canadiennes ont entraîné à l’étranger des émissions de GES de l’ordre de 954 millions de tonnes, un bilan nettement supérieur à celui du Canada cette année-là, à 730 millions de tonnes.

Le pétrole extrait à Bay du Nord sera-t-il moins polluant, comme on le prétend ?

Tout dépend de ce qui est pris en compte dans le calcul. C’est d’ailleurs l’une des principales critiques des groupes environnementaux à ce sujet. « Produire du pétrole qu’on dit vert ou propre, c’est une vue de l’esprit : ça n’existe tout simplement pas », estime Émile Boisseau-Bouvier, analyste des politiques climatiques chez Équiterre. Il est vrai cependant qu’extraire du pétrole « classique » comme celui de Bay du Nord est beaucoup moins polluant que les sables bitumineux, signale Normand Mousseau. « Les sables bitumineux, c’est comme du goudron. Il faut le chauffer avec du gaz naturel pour extraire le pétrole. Ça prend donc beaucoup d’énergie. » Selon les estimations de la société norvégienne Equinor, qui va exploiter Bay du Nord, chaque baril de pétrole extrait émettra 8 kg de CO2, alors que les sables bitumineux entraînent des émissions de 80 kg de CO2 par baril.

Le fédéral affirme qu’il a imposé une « exigence historique pour un projet pétrolier et gazier d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050 ». C’est une bonne nouvelle, non ?

Cette affirmation doit être mise en contexte. Il est question de carboneutralité au moment de l’extraction de la ressource. Et même là, Normand Mousseau doute que cet objectif soit atteint un jour. Les coûts des technologies actuelles de captation et de stockage de carbone sont très élevés, précise-t-il. « On ne voit pas comment ça peut être économiquement viable, à moins que les Canadiens financent le tout, et ça risque de coûter très cher. » L’autre difficulté, selon Daniele Pinti, professeur au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère à l’UQAM, c’est qu’il s’agit d’une exploitation en pleine mer. « Tout moteur, toute machinerie fonctionne alors aux énergies fossiles. »

Finalement, le Canada pourrait-il quand même diminuer ses émissions de GES ?

La réponse courte est oui. Pour le savoir, cependant, il faudra attendre le bilan canadien des émissions de GES dévoilé chaque année. Mais le Canada pourrait en effet présenter un meilleur bilan que par le passé. Mais l’ultime jalon pour mesurer les efforts de tous les pays en matière de lutte contre les changements climatiques, c’est la concentration de CO2 dans l’atmosphère, qui se fiche des bilans de chaque nation. Celle-ci malheureusement ne fait qu’augmenter année après année.

Précision : Dans une version précédente, nous avions indiqué que les émissions de GES du Canada à l’étranger étaient de l’ordre de 954 milliards de tonnes, contre 730 milliards de tonnes au pays. Il aurait fallu lire 954 et 730 millions de tonnes. Par ailleurs, Normand Mousseau est professeur à l’Université de Montréal et non HEC Montréal. Nos excuses.

Suivez la concentration de CO2 dans l’atmosphère au quotidien Regardez le témoignage de Steven Guilbeault devant la commission permanente de la Chambre des communes sur les ressources naturelles