Limiter la hausse de la température mondiale à 1,5 °C est encore possible si les émissions mondiales de gaz à effet de serre plafonnent au plus tard en 2025, mais l’humanité n’est pas encore en voie d’y parvenir, a prévenu lundi le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Aperçu de son rapport.

Réduire de moitié

PHOTO DARRYL DYCK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Un incendie de forêt en Colombie-Britannique, en juillet 2021.

Les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) devront cesser d’augmenter au plus tard en 2025 et être réduites de moitié d’ici 2030, par rapport à leur niveau actuel, pour que la hausse de la température de la Terre n’excède pas 1,5 °C, ce qui constitue l’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris sur le climat. Or, les émissions annuelles moyennes ont atteint leurs plus hauts sommets de 2010 à 2019, bien que leur taux de croissance ait ralenti par rapport à la décennie précédente, observe le rapport du GIEC publié lundi, rédigé par son Groupe de travail III, qui porte sur les façons d’atténuer le réchauffement climatique.

Haro sur les énergies fossiles

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Une « réduction substantielle » de l’utilisation des hydrocarbures est nécessaire pour limiter la hausse de la température mondiale, avertit le GIEC.

Une « réduction substantielle » de l’utilisation des hydrocarbures est nécessaire pour limiter la hausse de la température mondiale, avertit le GIEC, qui calcule que les émissions projetées de dioxyde de carbone (CO2) provenant des infrastructures de combustibles fossiles existantes et actuellement prévues excèdent le total à ne pas dépasser pour limiter la hausse à 1,5 °C, et mènent plutôt vers une hausse de 2 °C. Tout nouveau projet d’infrastructure dans ce secteur viendrait « verrouiller » le niveau d’émissions à long terme, prévient le rapport, selon lequel l’équivalent de 1000 à 4000 milliards de dollars américains (de 1250 à 5000 milliards de dollars canadiens) de combustibles fossiles doit rester dans le sol pour limiter le réchauffement à 2 °C.

Options accessibles

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Les énergies vertes, la séquestration du carbone en agriculture ou la restauration d’écosystèmes offrent, par exemple, un très grand potentiel de réduction des émissions, à bas coût de surcroît, comparativement au captage du carbone.

S’il est urgent d’agir, le rapport du GIEC montre aussi que les moyens de réduire les émissions pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C existent et que leur coût est en constante diminution. « Les options d’atténuation coûtant 100 $ US (125 $ CAN) par tonne d’équivalent dioxyde de carbone (t éq. CO2) pourraient réduire les émissions mondiales de GES d’au moins la moitié du niveau de 2019 d’ici 2030 », explique le rapport. Les énergies vertes, la séquestration du carbone en agriculture ou la restauration d’écosystèmes offrent, par exemple, un très grand potentiel de réduction des émissions, à bas coût de surcroît, comparativement au captage du carbone.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Changements de comportement

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Les mesures d’« atténuation par la demande » incluent l’adoption de « régimes alimentaires sains, équilibrés et durables », la réduction du gaspillage alimentaire, l’intégration d’énergies renouvelables dans les bâtiments, l’électrification des transports, le recours aux transports actifs et en commun ou encore l’utilisation de produits réparables à plus longue durée de vie.

Modifier les habitudes de consommation, l’utilisation des infrastructures et la fourniture de services pour « des options à faible intensité de GES » permettrait des réductions significatives de l’ordre de 40 à 70 % des émissions mondiales de GES, indique le GIEC. Ces mesures d’« atténuation par la demande » incluent l’adoption de « régimes alimentaires sains, équilibrés et durables », la réduction du gaspillage alimentaire, l’intégration d’énergies renouvelables dans les bâtiments, l’électrification des transports, le recours aux transports actifs et en commun ou encore l’utilisation de produits réparables à plus longue durée de vie. Ces mesures « sont compatibles avec l’amélioration du bien-être pour tous », précise le rapport.

Les Nord-Américains polluent davantage

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Les Nord-Américains dominent largement le classement des pires émetteurs de GES.

Les émissions de GES par personne varient beaucoup d’une région à l’autre, même à des revenus équivalents. Les Nord-Américains dominent largement le classement des pires émetteurs, à près de 20 tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (t éq. CO2), selon les données de 2019. L’Afrique et l’Asie du Sud sont à l’opposé du spectre, à moins de 4 t éq. CO2 par personne. À l’échelle mondiale, les 10 % de ménages ayant les plus fortes émissions par personne génèrent près de 35 % des émissions totales. De leur côté, les 50 % des ménages émettant le moins de GES par personne sont responsables de moins de 15 % des émissions.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Des bâtiments trop gourmands

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Les bâtiments existants comme ceux à construire doivent impérativement « approcher » la carboneutralité pour éviter un autre effet de « verrouillage » des émissions de GES, prévient le GIEC.

Les bâtiments existants comme ceux à construire doivent impérativement « approcher » la carboneutralité pour éviter un autre effet de « verrouillage » des émissions de GES, prévient le GIEC. « Des politiques peu ambitieuses augmentent le risque de blocage » qui verrait les bâtiments contribuer aux émissions « pendant des décennies », explique le rapport. En 2019, les émissions directes et indirectes du secteur ont augmenté d’environ 55 % pour les bâtiments non résidentiels et de quelque 50 % pour les bâtiments résidentiels par rapport à leur niveau de 1990, en raison de l’augmentation de leur superficie, du recours à des sources d’électricité et de chauffage à forte intensité de carbone et de la croissance de la population.

Les fonds et l’ambition sont là

PHOTO YURIKO NAKAO, REUTERS

Le rapport estime qu’il faudrait multiplier par trois à six les sommes actuelles pour limiter le réchauffement planétaire à 2 °C.

Les actions et politiques visant à réduire les émissions de GES ont connu une « expansion constante » depuis le précédent rapport du Groupe de travail III, en 2014, observe le GIEC. Mais ces politiques sont inégales d’un secteur à l’autre, et le financement est inéquitablement et trop lentement distribué, déplore le rapport, qui estime qu’il faudrait multiplier par trois à six les sommes actuelles pour limiter le réchauffement planétaire à 2 °C. Pourtant, « il y a suffisamment de capital et de liquidités à l’échelle mondiale pour combler l’écart », indique le GIEC.

– Avec Éric-Pierre Champagne, La Presse

Les rapports du GIEC

Le rapport publié lundi constitue le troisième et dernier volet du Sixième rapport d’évaluation du GIEC, dont la synthèse sera publiée l’automne prochain. Il porte sur l’atténuation des émissions dans l’atmosphère de gaz à effet de serre (GES) d’origine humaine. Rédigé par le Groupe de travail III de l’organisation, il fait suite à celui du Groupe de travail II portant sur les conséquences des changements climatiques, publié en février, et à celui du Groupe de travail I se penchant sur les indicateurs scientifiques de l’évolution du climat, publié en août.

Ils ont dit

Le rapport du GIEC a suscité de nombreuses réactions

Le rapport du GIEC indique « très clairement » qu’il faut « plafonner et réduire les émissions du secteur pétrogazier », mais cela n’est pas incompatible avec l’approbation de nouvelles infrastructures d’extraction, a affirmé lundi le ministre canadien de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, qui doit annoncer d’ici le 13 avril s’il autorise le projet Bay du Nord, une plateforme pétrogazière au large de Terre-Neuve. Le plan de réduction des émissions canadiennes déposé il y a une semaine « fait exactement ce que le GIEC nous demande de faire : réduire les émissions de GES dans tous les secteurs », a-t-il martelé, se disant prudemment optimiste que l’humanité parvienne à limiter la hausse de la température mondiale à 1,5 °C.

Steven Guilbeault, ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique

Des solutions existent. On créera davantage de richesse en investissant dans l’économie d’avenir verte que celle du passé, noire. Je ne comprends pas que les libéraux et @s_guilbeault [le ministre fédéral de l’Environnement Steven Guilbeault] s’entêtent dans cette voie. On y arrivera.

Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

Depuis sept ans, la population canadienne regarde impuissante les libéraux diriger le Canada dans la mauvaise direction. Leur nouveau plan d’émissions de GES prévoit l’octroi de subventions massives aux grandes compagnies pétrolières et la mise en place d’une technologie de captage du carbone – une stratégie dénoncée par les scientifiques, car elle profite surtout aux grandes compagnies pétrolières. Au lieu de supprimer progressivement les subventions aux énergies fossiles, le gouvernement les a augmentées en distribuant des milliards de dollars aux compagnies pétrolières et gazières lucratives.

Laurel Collins, porte-parole du NPD en matière d’environnement et de changements climatiques

Le rapport d’aujourd’hui du Groupe de travail III démontre clairement que le Canada n’a pas compris ce qui est nécessaire. Si ce rapport ne réveille pas l’alliance libérale–néo-démocrate sur la nécessité d’une action beaucoup plus urgente, rien ne le fera.

Amita Kuttner, cheffe par intérim du Parti vert du Canada

Certains gouvernements et responsables d’entreprise disent une chose et en font une autre. Pour le dire simplement, ils mentent. […] C’est un dossier déshonorant, un catalogue des promesses creuses qui nous mettent résolument sur la voie d’un monde invivable.

António Guterres, secrétaire général de l’ONU

Le rapport du GIEC publié [lundi] confirme que nous vivons un moment de transition sans précédent. Les gouvernements sont confrontés à un choix. Ils peuvent saisir ce moment pour transformer les systèmes sociaux et économiques, accélérer l’action climatique tout en priorisant les besoins des communautés, des peuples autochtones et des travailleurs. Ou alors, ils peuvent rester complaisants face à l’escalade de la destruction, des conflits et de la pauvreté, et permettre à l’industrie pétrolière et gazière de brûler notre espoir d’un avenir vivable.

Eddy Pérez, directeur de la diplomatie climatique internationale, Réseau action climat Canada

Nous n’avons plus une seconde à perdre, et les gouvernements, les entreprises et les institutions financières n’ont plus d’excuses. L’une des façons pour le Canada d’en faire davantage est de réorienter les milliards qui vont en soutien aux énergies fossiles vers les solutions climatiques proposées par le GIEC. C’est une véritable honte que les cinq grandes banques canadiennes figurent parmi les 20 premiers bailleurs de fonds mondiaux des combustibles fossiles et que leur financement à cette industrie ait augmenté de 70 % l’année dernière. Il n’y a aucune excuse pour injecter plus d’argent dans les combustibles fossiles alors que nous avons désespérément besoin d’investir dans un avenir plus propre et plus juste.

Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada

L’humanité n’a jamais été mieux équipée technologiquement et financièrement pour décarboner nos économies et renforcer la résilience mondiale. Nous avons toutes les solutions nécessaires – nous ne les mettons simplement pas en œuvre assez rapidement. Ce rapport est clair : les prochaines années sont cruciales pour mettre fin aux flux financiers qui sont incompatibles avec l’objectif de 1,5 °C de l’accord de Paris. Le Canada doit donner suite à ce rapport du GIEC en fixant un plafond ambitieux pour les émissions de pétrole et de gaz.

Sabaa Khan, directrice générale pour le Québec et l’Atlantique, Fondation David Suzuki

En lisant le rapport, on se rend bien compte de l’écart marquant entre ce que les scientifiques proposent et la volonté politique de nos gouvernements. On ne fera pas de transition sans modification majeure de notre façon de nous déplacer, de nous nourrir, de consommer et d’occuper le territoire. C’est le temps pour nos gouvernements de regarder la réalité en face et d’en finir avec les demi-mesures.

Émile Boisseau-Bouvier, analyste des politiques climatiques, Équiterre

En savoir plus
  • +1,1 °C
    augmentation de la température mondiale actuelle par rapport à l’ère préindustrielle
    Source : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)
    +2,7 °C
    augmentation de la température mondiale prévue selon les engagements actuels de la communauté internationale
    Source : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)
  • + 1,1 °C
    Augmentation de la température mondiale actuelle par rapport à l’ère pré-industrielle
    source : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)
    + 2,7 °C
    Augmentation de la température mondiale prévue selon les engagements actuels de la communauté internationale
    source : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)