Avec ses dizaines de milliers de tonnes de pneus envoyés à la récupération chaque année, le Québec est assis sur une véritable mine de caoutchouc à recycler. L’entreprise Altterre, de Québec, a décidé d’en utiliser pour fabriquer des poids et haltères.

À force de trimballer les lourdes plaques de caoutchouc recyclé servant à lester les pieds de tentes et de panneaux lors des évènements organisés par sa firme, Daniel Riou finissait par avoir mal aux bras. « Je me suis dit : “Si c’est fatigant de les transporter, on peut s’entraîner avec ça !” », raconte le directeur général de Défi Entreprises, qui est kinésiologue.

Une ex-collègue, qui avait cité l’exemple d’un fabricant de planches d’équilibre à base de bois recyclé, a contribué à l’inspiration : pourquoi ne pas recycler du caoutchouc pour en faire du matériel d’entraînement ?

Il a suffi que Défi Entreprises, qui fournit des programmes d’exercices aux employeurs et produit des évènements sportifs, se retrouve en pause forcée avec la pandémie pour que l’équipe de M. Riou s’attèle au développement de poids et haltères à base de caoutchouc recyclé.

Lancement d’Altterre

Les premiers produits ont été des sacs d’entraînement de 8, 13 et 18 lb remplis de granules de caoutchouc issues de pneus. Ils ont été lancés en novembre 2020 sous la marque Altterre, alors que les gyms étaient fermés et que les poids libres étaient devenus introuvables. Bien que les sacs d’entraînement soient moins connus ici qu’aux États-Unis, Altterre s’est vite retrouvée en rupture de stock.

PHOTO ERICK LABBÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Jade Ferlatte, responsable du marketing, et Daniel Riou, directeur général d’Altterre

Quinze mois et des centaines de sacs plus tard, M. Riou estime avoir remis en circulation l’équivalent de 1600 pneus. Ce n’est qu’un début.

« La première idée était de faire des plaques de poids en caoutchouc, sauf que ça demandait des investissements importants », explique le fondateur d’Altterre.

Les sacs – plus rapides à développer et à produire – ont démontré l’intérêt pour du matériel d’entraînement à base de pneus recyclés. L’entreprise a ensuite décroché une subvention de près de 62 000 $ de Recyc-Québec pour développer des plaques de 10, 25 et 45 lb à enfiler sur une barre de métal, pareilles aux plaques de fonte utilisées dans les gyms. Ces plaques permettraient de recycler beaucoup plus de caoutchouc. « Dans une plaque de 45 lb, on peut calculer qu’il y a sept pneus de voiture », souligne M. Riou.

Altterre, qui travaille avec une firme québécoise pour la conception de ce produit, espère pouvoir le commercialiser d’ici la fin de l’année. Le caoutchouc, dans ce cas, sera refondu avec des agents liants. « Les défis sont de trouver la bonne recette et d’avoir un bon design de produit, qui se manipule bien même s’il est relativement lourd. Il faut faire un moule adéquat », explique M. Riou.

PHOTO ERICK LABBÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Daniel Riou, fondateur d’Altterre

Le but, à long terme, c’est de réussir à recycler 1 million de pneus.

Daniel Riou, fondateur d’Altterre

Altterre vend aussi des ballons médicinaux lestés avec des retailles de tissu provenant d’une manufacture de vêtements québécoise, et a d’autres projets. L’entreprise développe des sangles destinées à l’entraînement en suspension (popularisé par le système TRX), qui seraient fabriquées avec des ceintures de sécurité usagées. Elle étudie aussi la possibilité de réutiliser de la toile de camion usagée pour ses sacs et du sable de sablage dans certains équipements lestés.

Pour Daniel Riou, qui avait déjà éliminé les bouteilles d’eau jetables et instauré le compostage dans ses évènements avant la pandémie, c’est une suite logique.

« Le but n’est pas seulement de réduire l’impact négatif de l’entreprise, c’est que l’entreprise ait un impact positif. »

Pneus brûlés

Le programme de gestion des pneus hors d’usage de Recyc-Québec a récolté presque 94 000 tonnes de pneus en 2020, une masse qui ne cesse d’augmenter en raison, notamment, de la popularité des VUS.

Or, seulement 81 % de ce caoutchouc a été utilisé à des fins de recyclage (80,6 %) ou de remoulage de nouveaux pneus (0,4 %) en 2020, alors que Québec vise 95 % en 2023. Près de 20 % a été brûlé dans les cimenteries et d’autres industries. Même si ces pneus remplacent des combustibles fossiles, « ça génère des gaz à effet de serre, c’est sûr et certain », rappelle Denis Rodrigue, professeur au département de génie chimique de l’Université Laval. La combustion est toujours « le dernier recours. Il faut essayer de trouver autre chose à faire avant ».

PHOTO FOURNIE PAR DENIS RODRIGUE

Denis Rodrigue, professeur au département de génie chimique de l’Université Laval

Beaucoup de pneus ont été recyclés en tapis et en paillis, mais la bonne durée de vie de ces produits oblige à trouver d’autres usages. « À peu près n’importe quelle application en caoutchouc peut être envisagée », dit M. Rodrigue en citant notamment les joints et membranes.

Les clients potentiels sont toutefois « très frileux ».

« Les gens sont toujours intéressés quand on leur montre des pièces et des applications qu’on développe au laboratoire avec les étudiants, mais par la suite, ils sont un peu plus réticents avec du matériel recyclé », témoigne-t-il. Pourtant, « quand le traitement est fait correctement, il n’y a généralement pas trop de difficultés ».

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    Augmentation annuelle de la masse de pneus hors d’usage à gérer au Québec (moyenne sur cinq ans, en tonnes)
    Source : Recyc-Québec, Fiche pneus hors d’usage, mai 2021