Ottawa reporte de nouveau sa décision au sujet du projet de plateforme d’extraction pétrolière et gazière au large de Terre-Neuve.

Le gouvernement « a prolongé de 40 jours le délai imparti au ministre de l’Environnement et du Changement climatique [Steven Guilbeault] pour décider si le projet est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants », a indiqué Ottawa, vendredi après-midi.

Le projet Bay du Nord, de la norvégienne Equinor, consiste à construire une installation flottante d’extraction de pétrole et de gaz dans la passe Flamande, à 500 kilomètres de St. John’s.

D’une durée de vie prévue de 30 ans, Bay du Nord permettrait de produire environ 1 milliard de barils de pétrole, selon l’Association des industries pétrolières et gazières de Terre-Neuve-et-Labrador.

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Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

Le ministre Guilbeault devait initialement rendre sa décision en décembre, mais il avait alors prolongé de 90 jours le délai prévu pour le faire.

Il est urgent de tourner le dos aux énergies fossiles pour limiter les impacts de la crise climatique, rappelait lundi le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dans son plus récent rapport.

Ce rapport « ne fait que renforcer » la volonté du gouvernement de prendre des mesures plus musclées pour lutter contre le réchauffement climatique et s’y adapter, affirmait d’ailleurs le ministre Guilbeault dans la foulée de sa publication.

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Appels à rejeter le projet

Ce nouveau délai pour décider du sort du projet Bay du Nord doit servir à trouver mieux, estiment Équiterre et Greenpeace Canada.

« Le gouvernement doit profiter de ce délai supplémentaire pour annoncer, dès le prochain budget fédéral, des sommes importantes pour diversifier l’économie de Terre-Neuve et créer des emplois verts de manière à s’assurer que la transition ne laisse personne pour compte », a notamment déclaré Patrick Bonin, responsable de la campagne climat-énergie de Greenpeace.

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Membres de Greenpeace Canada et d’Équiterre manifestant contre le projet Bay du Nord devant le bureau montréalais du ministre Steven Guilbeault

Les élèves du secondaire et du cégep qui manifestaient vendredi, à Montréal, dans le cadre de leur grève hebdomadaire pour le climat, ont réclamé le rejet du projet.

Ils se sont de nouveau rendus devant le bureau de circonscription de M. Guilbeault, où ils ont pu s’entretenir avec l’équipe du ministre – ce dernier n’était pas sur place.

« Nous espérons qu’après nous avoir entendus, le ministre Guilbeault et son équipe prendront la bonne décision ; et s’ils ont encore besoin de nous entendre, nous serons là chaque vendredi à militer, avec nos pancartes et nos slogans », a déclaré à La Presse Ève Claveau, du groupe Pour le futur Montréal.

Le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Andrew Furey, a rapidement réagi au report de la décision en qualifiant Bay du Nord de « projet précieux qui jouera un rôle clé pour aider [la] province à répondre à la demande mondiale pour du pétrole responsable tout en atteignant la carboneutralité d’ici 2050 ».

« Notre industrie pétrolière et gazière […] peut faire partie de la solution alors que le monde opère une transition vers une économie à faibles émissions de carbone », a-t-il aussi affirmé, dans une déclaration écrite.

« Incompatible » avec les engagements du Canada

Bay du Nord « est incompatible avec les engagements nationaux et mondiaux du Canada en matière de climat », écrivaient plus tôt cette semaine une centaine de groupes sociaux et environnementaux et une dizaine d’universitaires de partout au pays dans une lettre ouverte appelant au rejet du projet.

La missive, cosignée notamment par l’Association québécoise des médecins pour l’environnement et la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), déplorait aussi que le projet soit en contradiction avec « l’engagement du Canada à plafonner les émissions du secteur pétrolier et gazier, se fonde sur une étude d’impact environnemental gravement déficiente et ne fourni[sse] pas à Terre-Neuve-et-Labrador le soutien nécessaire pour assurer la transition des travailleurs vers une économie prospère et propre ».

Approuver Bay du Nord, qui devrait produire du pétrole bien au-delà de 2050, fera reculer le Canada dans ses tentatives d’atteindre zéro émission nette [de gaz à effet de serre au milieu du siècle].

Extrait de la lettre des organisations sociales et environnementales

Les critiques soulignent que les prévisions d’extraction de 300 millions de barils ont été multipliées par trois depuis l’évaluation environnementale du projet, par ailleurs réalisée en vertu de l’ancienne Loi canadienne sur l’évaluation environnementale et non de la nouvelle Loi sur l’évaluation d’impact, qui exige que tous les projets soient évalués en fonction de leur impact sur les engagements climatiques du Canada.

Le ministère des Pêches et des Océans affirmait dans son examen scientifique de l’évaluation environnementale avoir relevé de nombreuses erreurs et omissions dans la documentation citée par le promoteur, ce qui a « miné considérablement la fiabilité et la crédibilité du processus d’évaluation ».

Les émissions de gaz à effet de serre que générerait Bay du Nord équivaudraient à l’ajout de 7 à 10 millions de voitures à essence sur les routes ou à la construction de 8 à 10 nouvelles centrales électriques au charbon, calculent les signataires de la lettre.

Le projet va ainsi à l’encontre des recommandations de l’Agence internationale de l’énergie, qui préconise « de mettre fin à l’expansion de la production et des infrastructures pétrolières, gazières et charbonnières et d’accélérer la transition mondiale vers les énergies renouvelables », ajoutent-ils.

En savoir plus
  • 1200 mètres
    Profondeur de l’océan Atlantique à l’endroit où serait construit le projet Bay du Nord
    SOURCE : Agence d’évaluation d’impact du Canada