Le Canada a le potentiel de devenir un important producteur de carburant d’aviation durable (SAF, pour sustainable aviation fuel, en anglais), croit une nouvelle association mise sur pied pour accélérer le développement de ce secteur qui ambitionne de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’aviation.

Le Conseil canadien des carburants d’aviation durables (C-SAF) réunit une soixantaine de transporteurs aériens présents au pays, comme Air Transat et Air Canada, une dizaine de grands aéroports, dont celui de Montréal, ainsi que d’autres entreprises du secteur.

L’organisme à but non lucratif s’est donné la mission de déterminer et de travailler à mettre en place les « conditions gagnantes » pour que le Canada tire son épingle du jeu dans cette industrie en développement, a déclaré à La Presse son directeur général, Geoff Tauvette.

« Ce qui manque au Canada, c’est une stratégie canadienne pour soutenir le développement et la production du SAF au pays, et pour ça, il faut travailler ensemble », a-t-il expliqué.

Il existe différents types de carburants d’aviation durables : les synthétiques comme ceux faits à partir de dioxyde de carbone (CO2) et d’hydrogène, les biocarburants à base de biomasse agricole ou forestière, ou encore ceux faits à partir d’huiles de cuisson usagées ou de graisses animales, comme celui qui avait en partie alimenté un vol Paris-Montréal, l’an dernier. 1

« Il y a une course mondiale pour le SAF, et le Canada a tous les avantages compétitifs pour gagner cette course », affirme Geoff Tauvette.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE TOURISM VICTORIA

On a des ressources naturelles abondantes, de l’expertise dans le raffinage, de l’énergie renouvelable. Tout ça ensemble devrait faire en sorte qu’on soit super compétitifs.

Geoff Tauvette, directeur général du Conseil canadien des carburants d’aviation durables

L’industrie aérienne sera « très difficile à décarboner », reconnaît cependant M. Tauvette, qui voit le carburant d’aviation durable comme la solution la plus simple à moyen terme.

L’utilisation de ce carburant, semblable en tout point au kérosène traditionnel, mais qui génère jusqu’à 80 % moins de gaz à effet de serre (GES), ne nécessite aucune modification aux moteurs ou aux infrastructures d’avitaillement, souligne-t-il.

En revanche, il coûte jusqu’à huit fois plus cher à l’heure actuelle.

Ce n’est donc « pas demain, malheureusement », qu’on verra son utilisation à grande échelle, « mais on pourrait [avoir] un bon programme ou des incitatifs pour soutenir la production à long terme », estime Geoff Tauvette, qui pense que l’utilisation du SAF pourrait être généralisée d’ici 2030.

« Il y a du travail à faire », dit-il, évoquant un cadre réglementaire et des politiques à développer.

Un complément

La création du Conseil canadien des carburants d’aviation durables est vue d’un bon œil par le consortium SAF+, coalition québécoise qui développe à Montréal un projet de production de ce carburant, fait à partir de CO2 et d’hydrogène. 2

« C’est un complément pour nous », a déclaré à La Presse son président et directeur général, Jean Paquin.

Le Québec et le Canada ne doivent pas être « à la remorque » de ce qui se fera ailleurs sans s’impliquer dans le développement de ces nouveaux carburants, a-t-il dit.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Quand tu ne t’impliques pas dans le développement, les autres t’imposent leur rythme et leurs coûts.

Jean Paquin, PDG du consortium SAF+

Il était aussi important que le regroupement soit plus qu’une association de transporteurs aériens, estime M. Paquin.

« Avoir toutes les parties prenantes autour de la table, c’est important quand tu veux faire avancer un nouveau secteur », a-t-il affirmé.

Incertitude

Il n’est pas encore démontré que le carburant d’aviation durable peut être produit en quantité suffisante pour réduire considérablement les émissions de GES du secteur de l’aviation, ni que sa production est sans effet sur l’environnement, estime cependant Patrick Bonin, responsable de la campagne climat-énergie de Greenpeace Canada.

« Souvent, les technologies proposées entraînent des impacts environnementaux majeurs, parfois les réductions de GES sont nulles, selon la matière utilisée », illustre-t-il, réclamant des études sur l’ensemble des effets environnementaux de cette solution.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le fardeau de la preuve est dans la cour des entreprises.

Patrick Bonin, de Greenpeace Canada

Il faut éviter d’utiliser « une recette qu’on a appliquée trop souvent, qui est de continuer le même modèle économique sous prétexte qu’une solution magique arrivera éventuellement », dit-il.

En attendant une éventuelle démonstration de « l’efficacité et l’innocuité » du SAF, l’écologiste estime que « la seule solution, c’est de réduire le nombre de vols, et c’est souvent ce que l’industrie ne veut pas faire ».

1. Lisez « Paris-Montréal avec de la vieille huile de friture » 2. Lisez « SAF+ veut investir 300 millions »
En savoir plus
  • 63 %
    Proportion visée des carburants d’aviation durables en 2050 en Europe
    SOURCE : Commission européenne
    22 mégatonnes
    Quantité d’émissions de gaz à effet de serre des transporteurs aériens canadiens en 2018 pour leurs vols internationaux et intérieurs
    SOURCE : RAPPORT ANNUEL 2018 DU PLAN D’ACTION DU CANADA POUR RÉDUIRE LES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE PROVENANT DE L’AVIATION