(Québec) La promesse du gouvernement Legault de mettre 1,5 million d’autos électriques sur la route ne permettra même pas d’atteindre la moitié de la cible climatique de 2030 dans le secteur des Transports, selon une analyse interne. Le même document prédit que la nouvelle stratégie pour forcer les concessionnaires à vendre plus de véhicules zéro émission n’aura aucun effet significatif avant huit ans.

« Les projections […] indiquent clairement qu’on va rater la cible avec les mesures actuelles. Si le gouvernement le montre aussi clairement dans ses propres analyses, c’est vraiment, et malheureusement, très crédible », estime Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et spécialiste du secteur de l’énergie.

Pour la première fois, le gouvernement Legault a chiffré son plan d’électrification du parc automobile (voir graphique), fer de lance de son plan environnemental. En 2030, Québec espère qu’il y aura 1,5 million d’autos électriques sur les routes du Québec, sur un total de 5,6 millions de véhicules légers. Cela se traduirait par une baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 13 % par rapport à 1990. C’est très loin de la cible de - 37,5 %, l’objectif global du Québec, mais également celle que le gouvernement Legault s’est fixée dans le secteur des transports. Et pour que cette demi-victoire se matérialise, il faudrait que le Québec limite au maximum la progression du parc automobile : il prévoit une hausse de 3 % entre 2020 et 2030.

C’est le transport, le secteur problématique au Québec. […] S’il fait moins que sa part dans la réduction de 37,5 %, cela veut dire que les autres secteurs devront faire plus, et c’est beaucoup plus difficile à faire.

Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal

Le professeur n’est pas le seul à faire ce constat. « C’est comme si le gouvernement indique lui-même qu’on n’arrivera pas à la cible de 2030 », déplore Andréanne Brazeau, analyste en mobilité chez Équiterre. Elle croit également qu’il est pratiquement impossible de respecter nos engagements climatiques en baissant de seulement 13 % les émissions des véhicules légers. « Il faudrait que les émissions du reste des transports, comme les véhicules lourds, le transport maritime et aérien, diminuent de 24,5 %. Ce serait un exploit remarquable dans le contexte où les émissions de l’ensemble du secteur avaient plutôt augmenté de 35 % en 2019 », indique-t-elle.

« J’y crois toujours », dit Charette

Le gouvernement Legault pense pourtant que l’objectif est réalisable. En entrevue avec La Presse, le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, estime qu’avec ces 13 %, « on serait à la moitié du chemin ». « J’y crois toujours, en étant convaincu que c’est un exercice colossal », souligne-t-il.

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Benoit Charette, ministre de l’Environnement

Le renforcement de la norme sur les véhicules zéro émission ne sera toutefois pas suffisant. Théoriquement, il forcerait les concessionnaires et l’industrie automobile à offrir davantage de véhicules électriques au Québécois – 15 % des ventes en 2025, plutôt que 6,5 % actuellement, selon le cabinet de M. Charette. « Dès 2025, c’est toute la notion d’offre qui sera changée. Le problème, ce n’est pas que les modèles n’existent pas, c’est qu’ils ne sont pas disponibles dans un temps qui est raisonnable », dit-il.

Mais selon l’analyse d’impact du ministère de M. Charette, elle n’aura aucun effet significatif avant 2030 (voir graphique). De 2025 à 2029, le nouveau règlement ne permettra d’ajouter que 12 000 véhicules électriques (VE) sur les routes. Il faut attendre 2030 pour apercevoir un bond de 298 000 VE.

« On observe que le projet de resserrement de la norme n’entraînerait aucune augmentation du nombre de VE sur les routes pour les premières années d’application, puisqu’on estime que le nombre de VE sur les routes dépassera les exigences minimales de crédits », explique l’analyse.

« Complètement inadéquat », selon Greenpeace

Le ministre finit d’ailleurs par le reconnaître : les concessionnaires ont accumulé une telle quantité de crédits depuis 2018 qu’ils peuvent vivre sur les vieux gagnés pour quelques années. « Mais après [à partir de 2030], ça devient plus exponentiel », dit M. Charette.

Selon les groupes environnementaux, cette situation n’est pas tolérable. « C’est complètement inadéquat […], c’est tenter d’en faire le moins possible, le plus tard possible », rétorque Patrick Bonin, responsable de la campagne climat-énergie chez Greenpeace.

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Patrick Bonin, responsable de la campagne climat-énergie chez Greenpeace

Après trois ans au pouvoir, le ministre n’est pas en mesure de nous dire comment cette cible, qui n’est pas assez ambitieuse, sera atteinte.

Patrick Bonin, responsable de la campagne climat-énergie chez Greenpeace

L’ancien ministre de l’Environnement Daniel Breton, maintenant PDG de Mobilité électrique Canada, croit également que le gouvernement Legault fait fausse route avec sa norme trop faible. La proportion de véhicules électriques vendus espérée en 2025 est moins élevée que ce qui se fait actuellement en Chine, en France ou en Grande-Bretagne, fait-il remarquer.

« En ce moment, il y a un problème d’offre, il manque de modèles à vendre. Je connais des concessionnaires qui dissuadent des clients d’acheter des électriques. C’est un vrai dilemme pour eux, si tu n’as pas d’auto à vendre avant neuf mois, ou un an, tu ne seras pas payé avant neuf mois ou un an », souligne-t-il.

Et avec des dizaines de territoires qui mettent en place des règlements zéro émission, le Québec risque d’être laissé pour compte, croit-il. « L’industrie va envoyer ses VE là où les normes sont les plus sévères, par exemple dans certains pays européens », explique-t-il. Et l’industrie est capable de s’adapter à un règlement plus strict, souligne M. Breton. Son organisme fait valoir que le Danemark est passé de moins de 1 % de véhicules zéro émission vendus en 2016 à 58 % en décembre 2021.

En savoir plus
  • Pourcentage des ventes de véhicules électriques en novembre 2021
    Chine : 19 % ;
    France : 23,4 % ;
    Royaume-Uni : 28 % ;
    Allemagne : 34 % ;
    Suède : 54 % ;
    Norvège : 90 % ;
    Québec : 9 % ;
    États-Unis (septembre) 4,9 %
    Source : Mobilité électrique Canada