Dans l’ombre de l’urgence climatique, la crise de la biodiversité à l’échelle planétaire affecte un nombre grandissant d’espèces menacées de disparition, souvent dans l’indifférence générale. L’une d’elles, la baleine noire de l’Atlantique Nord, a vu sa population réduite à moins de 400 individus. La documentariste Nadine Pequeneza a décidé de leur consacrer son plus récent film.

Elle n’est pas aussi mythique que la baleine bleue et n’est pas aussi connue que le rorqual commun ou la baleine à bosse. Dans la famille des baleines, Eubalaena glacialis est pourtant la plus menacée de toutes. Un recensement récent a d’ailleurs établi sa population à 366 individus dans l’Atlantique Nord.

La cinéaste Nadine Pequeneza ne connaissait à peu près rien de la baleine noire avant de commencer à s’y intéresser en 2017. Cette année-là, 17 carcasses de baleines ont été trouvées dans l’Atlantique Nord, près des côtes canadiennes et américaines. « C’est quand j’ai vu toutes ces baleines mortes dans les journaux que je me suis dit qu’il fallait informer le public sur le sort de cette espèce », a-t-elle confié en entrevue avec La Presse.

Mais la cinéaste s’est vite rendu compte que réaliser un documentaire sur des baleines en voie de disparition représente un défi gigantesque. « Le plus difficile, c’est de pouvoir filmer ces baleines. Il est interdit de s’en approcher, il faut des autorisations pour le faire. Dès le départ, ç’a été le principal enjeu, mais en collaborant avec des scientifiques, on a fini par avoir les autorisations [gouvernementales] », explique-t-elle.

Trouver des baleines noires

Une fois les autorisations en main, il ne restait… qu’à trouver des baleines noires. « C’est toujours difficile de faire un film sur la vie sauvage et ça l’est encore plus dans l’océan. Il faut avoir les bonnes conditions météo et il faut les trouver, les baleines, car il n’y en a que quelques centaines. »

C’est que les mathématiques ne sont pas en faveur de cette espèce : les mortalités sont en effet supérieures aux naissances. Le réchauffement des océans pousse aussi les baleines à s’aventurer dans des zones plus fréquentées par l’homme afin de se nourrir.

Or, la moitié des décès est attribuable aux collisions avec un navire et il semblerait que les femelles soient plus susceptibles que les mâles d’être heurtées accidentellement.

C’est sans compter que la grande majorité des individus (80 %) ont aussi des cicatrices sur le corps, résultat d’une collision ou de cordes laissées par les pêcheurs.

Les nuances qui s’imposent

Il aura fallu deux ans et demi et beaucoup de patience à Nadine Pequeneza pour terminer Les dernières baleines noires. Mais contrairement à d’autres documentaires plus sensationnalistes comme Seaspiracy, sorti en 2021, la réalisatrice a refusé de succomber à une vision manichéenne opposant les bons contre les méchants.

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

La documentariste Nadine Pequeneza

Le documentaire montre néanmoins des scènes troublantes, comme la nécropsie d’une baleine retrouvée morte au large du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse. Les images d’un jeune mâle tentant de se défaire de plusieurs cordes sont aussi particulièrement choquantes.

Mais malgré des images-chocs, la documentariste propose néanmoins un film tout en nuances, qui fait la démonstration que des solutions existent.

L’un des personnages les plus intéressants est d’ailleurs un pêcheur de crabes québécois, Martin Noël.

Beaucoup de pêcheurs sont vus comme des méchants dans cette histoire, mais ce n’est qu’un côté de l’histoire. Et Martin [Noël] n’est pas l’un de ces méchants et il n’est pas le seul. Il y a beaucoup d’autres pêcheurs comme lui.

La documentariste Nadine Pequeneza

On voit notamment le pêcheur et son équipe faire l’essai de nouvelles cages pour le crabe, qui ne sont pas rattachées par une corde à une bouée flottant à la surface. Ces cages disposent d’un système permettant de déclencher à distance l’ouverture des portes, qui sont munies de flotteurs. Une fois à la surface, il suffit de ramener la cage sur le bateau grâce à la corde rattachée au système d’ouverture.

Une idée ingénieuse qui doit cependant être testée dans toutes les conditions pour juger de son efficacité. « Pour moi, c’était une évidence que nous devions nous impliquer, raconte Martin Noël dans le documentaire. Nous sommes en mer. Nous sommes les premiers à être touchés par ces fermetures [de zones de pêche]. Nous devons donc faire partie de la solution. »

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Le pêcheur Martin Noël

La dernière année a été particulièrement propice pour la naissance de baleineaux. Une vingtaine de naissances ont été enregistrées, ce qui pourrait laisser croire que les mesures déployées par le gouvernement canadien connaissent un certain succès pour protéger cette espèce.

Mais Nadine Pequeneza refuse de crier victoire. « Je crois que ce que j’ai appris avec ce film, c’est que la protection de la nature doit être constante. On ne peut pas seulement mettre en place une mesure de protection et se dire OK, c’est terminé. »

Selon la réalisatrice, la façon dont l’humain habite et utilise l’espace à sa disposition, « sans se soucier des écosystèmes, c’est problématique ». « Les gens vont penser que c’est un film sur les baleines, mais dans le fond, c’est surtout un film sur les humains. Sur la façon dont nous agissons sur notre planète. »

Les dernières baleines noires sera présenté au Cinéma du Musée en version anglaise avec sous-titres en français à partir du 18 février.

En savoir plus
  • De 13 à 17 mètres
    Longueur d’une baleine noire de l’Atlantique Nord, qui pèse en moyenne entre 30 et 70 tonnes.
    Source : Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM)
    6 mois
    Une baleine noire empêtrée dans des cordes de pêcheurs met en moyenne six mois avant de succomber à ses blessures.
    Source : documentaire Les dernières baleines noires