Du plastique récupéré par l’entreprise aurait été envoyé en Bulgarie pour être brûlé

De nouveaux doutes émergent sur TerraCycle, l’entreprise étatsunienne qui se targue de recycler ce qui n’est pas recyclable, dont les boîtes de récupération abondent au Québec.

Des matières plastiques récupérées en Angleterre par TerraCycle pour être recyclées auraient plutôt été envoyées dans une cimenterie en Bulgarie pour être brûlées, révèle le documentaire The Recycling Myth (Le mythe du recyclage), de la maison de production allemande maintes fois primée a & o buero.

Des images tournées secrètement montrent notamment 30 ballots de sachets de gâteries pour chats, de grignotines et d’autres emballages plastiques empilés dans une zone industrielle ; un courtier filmé à son insu explique que ces matières ne sont pas recyclables et sont destinées à une cimenterie voisine, pour être incinérées.

Une étiquette postale révèle qu’il s’agit en fait de matières provenant des « boîtes zéro déchet » préaffranchies que TerraCycle vend sur son site internet afin de lui envoyer par la poste différentes matières qu’elle prétend recycler.

IMAGE TIRÉE DU SITE DE TERRACYCLE

Boîtes zéro déchet de TerraCycle

L’équipe de tournage retrouve dans une petite ville anglaise la femme dont le nom figure sur l’étiquette postale ; elle raconte avec fierté récupérer bénévolement les emballages du voisinage pour les envoyer à TerraCycle, « parce que chaque geste compte », dit-elle, mais elle est atterrée quand l’équipe de tournage lui apprend où ses matières ont été trouvées et à quoi elles étaient destinées.

« C’est censé être recyclé au Royaume-Uni ! », s’exclame-t-elle.

Une « grande opacité »

Ces nouvelles révélations au sujet de TerraCycle alimentent également les soupçons au Québec, où l’entreprise a fait la manchette pour ses prétentions à l’égard du recyclage des masques et pour son programme de récupération des contenants de cannabis.

« On est demeurés très, très suspicieux », a affirmé à La Presse Marc Olivier, professeur-chercheur au Centre de transfert technologique en écologie industrielle de Sorel et professeur à l’Université de Sherbrooke.

Il constate une « grande opacité » dans les pratiques de l’entreprise, qui vend ses boîtes de récupération « à un prix fort » – au Canada, le prix oscille entre 55 $ et 325 $ par boîte – sans offrir de garanties sur ce qu’il advient des matières qui y sont placées.

« Il y a quelque chose de phénoménalement rentable dans les opérations de cette entreprise, [qui] semble développer à la demande des programmes supposément de mise en valeur, mais ce n’est pas toujours très clair », dit-il.

Ça prend des audits ou une découverte fortuite pour savoir ce qui arrive.

Marc Olivier, du Centre de transfert technologique en écologie industrielle de Sorel

Le documentaire « prouve que les consommateurs devraient remettre en question les prétentions des entreprises » à l’égard du recyclage de leurs produits, croit Jan Dell, ingénieure chimiste étatsunienne qui s’intéresse de près au monde du recyclage.

Elle a fondé à sa retraite l’organisation non gouvernementale The Last Beach Cleanup (Le dernier nettoyage de plage), qui a pour mission d’« exposer les faits sur les enjeux liés au plastique » et à la pollution qu’il engendre.

« Les producteurs devraient modifier la conception de leurs emballages pour qu’ils soient réutilisables ou recyclables, mais à la place, ils paient TerraCycle pour dire qu’elle les récupère », a-t-elle déclaré à La Presse.

PHOTO FOURNIE PAR JAN DELL

Jan Dell, ingénieure chimiste

L’industrie fait la promotion d’une fiction.

Jan Dell, ingénieure chimiste

Des entreprises d’ici

Recyc-Québec n’a pas été en mesure de vérifier de manière indépendante les prétentions de TerraCycle ; elle dit « encourager les organisations qui se dotent de ce type de service de récupération privée de bien s’informer sur les modes de recyclage et sur la destination des matières récupérées », a indiqué à La Presse sa porte-parole, Daphnée Champagne.

Hydro-Québec, qui avait acheté pour 80 500 $ de « boîtes zéro déchet » à TerraCycle en 2020, a recouru davantage à ses services en 2021 pour la récupération de masques et d’autres équipements de protection liés à la COVID-19, avec des achats totalisant 155 000 $.

« TerraCycle a amélioré le mécanisme de traçabilité de sa chaîne de valeur, ce qui répond mieux à nos attentes », a indiqué à La Presse Cendrix Bouchard, porte-parole de la société d’État.

Environnement et Changement climatique Canada, qui avait acheté pour plus de 16 700 $ de boîtes de récupération à TerraCycle en 2020, affirme pour sa part avoir cessé de recourir aux services de l’entreprise.

« Erreur humaine »

Les avocats de TerraCycle ont répondu aux auteurs du documentaire que l’envoi de ballots de matières résiduelles en Bulgarie était dû à une « unique erreur humaine d’un sous-traitant », a expliqué à La Presse le réalisateur Tristan Chytroschek ; c’est aussi ce que TerraCycle a dit à La Presse.

Mais Jan Dell n’en croit rien.

Trente ballots, c’est 30 tonnes, s’exclame-t-elle. Ce n’est pas une erreur d’un ballot !

Si ce plastique n’avait réellement pas abouti là où il devait, « pourquoi l’entreprise ne s’est-elle pas enquise de son sort ? », demande-t-elle.

TerraCycle affirme avoir depuis cessé de faire affaire avec le sous-traitant responsable de l’envoi d’une « petite quantité » de ses matières plastiques en Bulgarie et nie qu’elles aient été brûlées.

« À aucun moment, les matières de TerraCycle n’ont été envoyées ou ne se sont retrouvées dans une installation d’incinération », a déclaré Sue Kauffman, porte-parole de l’entreprise, affirmant que les ballots en question avaient été rapatriés au Royaume-Uni pour être recyclés.

The Recycling Myth a été diffusé sur la chaîne documentaire de CBC au début de février, mais aucune traduction en français n’est prévue pour l’instant.

Poursuite contre TerraCycle

Une poursuite intentée aux États-Unis contre TerraCycle et huit sociétés utilisant ses services, dont Procter & Gamble, Coca-Cola, L’Oréal et Tom’s of Maine, s’est soldée par un règlement à l’amiable, en novembre dernier. L’organisme The Last Beach Cleanup, de l’ingénieure chimiste Jan Dell, à l’origine de la poursuite, accusait ces entreprises d’allégations illégales et trompeuses à l’égard du recyclage de leurs produits. « Je considère que j’ai gagné, car elles devront changer [ce qu’elles affirment sur] leurs étiquettes et payer mes frais judiciaires », a déclaré à La Presse Jan Dell. L’entente prévoit notamment que les entreprises ne peuvent affirmer que leurs emballages sont « 100 % recyclables » et doivent indiquer que la participation aux programmes de récupération est limitée. TerraCycle devra quant à elle produire un rapport annuel prouvant que les matières récupérées ont été recyclées. « Je ne sais pas si elle le fera vraiment, mais mon but était d’exposer au public ce que ces marques font, dit Jan Dell. Elles ne peuvent pas baser leurs actions sur de l’écoblanchiment. »

En savoir plus
  • 202,8 millions
    Nombre de personnes qui participent aux programmes de recyclage de TerraCycle dans le monde, selon l’entreprise
    SOURCE : TERRACYCLE