(Paris) En France, un mouvement de jeunes allumés souhaite sensibiliser par rapport au gaspillage énergétique et à la pollution lumineuse. Leur façon de faire est originale.

C’est peut-être le couvre-feu, mais les commerces, eux, ne s’éteignent pas. À Paris, comme dans la plupart des grandes villes, les enseignes restent allumées toute la nuit, même si la loi l’interdit.

Pour faire respecter le règlement, les membres du collectif On the Spot ont décidé de se faire justice eux-mêmes. Chaque vendredi soir, quand c’est possible, ils partent en mission pour éteindre les éclairages superflus.

« On nous présente comme des militants. Je nous vois plutôt comme des citoyens. C’est un geste citoyen », lance Kevin Ha, 28 ans, étudiant en océanographie et porte-parole du groupe.

Leur façon de faire est originale, voire spectaculaire.

Adeptes du parkour, ce sport qui consiste à franchir des obstacles urbains ou naturels de façon créative, Kevin et ses potes sautent, rebondissent, s’agrippent ou escaladent les murs pour atteindre les interrupteurs qui sont placés en hauteur sur les façades, à quelques centimètres des enseignes.

« Clic. »

« Clic. »

« Clic. »

En quelques secondes, l’affaire est réglée. Sourires satisfaits, « high-fives » complices, ces justiciers de la nuit s’amusent de leurs prouesses.

Rien d’illégal, rien de détruit. Tout a été fait dans les règles de l’art (les interrupteurs sont là pour les pompiers) et, surtout, pour une bonne cause : sensibiliser la population à la question du gaspillage énergétique et de la pollution lumineuse.

PHOTO FOURNIE PAR ON THE SPOT

Chaque vendredi soir, quand c’est possible, les membres du collectif On the Spot partent en mission pour éteindre les éclairages superflus.

Des effets néfastes

Il est connu que les éclairages nocturnes ont des effets néfastes sur l’écosystème et sur notre rythme circadien. Sans oublier qu’ils troublent notre contemplation du ciel étoilé.

Quant au gaspillage énergétique, il n’est plus à démontrer.

Selon le ministère de la Transition écologique, la France pourrait économiser jusqu’à 200 millions d’euros par année (300 millions CAN) si on éteignait chaque nuit les 3 millions d’enseignes concernées.

Ceci expliquant cela, le gouvernement français a voté, en 2012, un décret pour obliger les commerces à éteindre leurs lumières et leurs vitrines de 1 h à 6 h, sous peine d’une amende de 750 euros (1115 $CAN).

Il semble cependant que cette loi soit très peu respectée.

La nuit, les Champs-Élysées ont l’air d’une vraie discothèque. Tout comme les quartiers du Marais, de l’Opéra et de Bercy, où sévit le collectif On the Spot. De fait, Paris n’a jamais aussi bien porté son surnom de « Ville Lumière »…

Mais Kevin et ses amis ne sont pas les seuls à agir. Ni les premiers. Le mouvement a été lancé par un autre groupe de parkour nommé le Wizzy Gang, à Rennes, en Bretagne.

Ce collectif a commencé ses activités en janvier 2020. Mais son impact ne s’est fait sentir que quelques mois plus tard, après la diffusion d’une de ses vidéos sur Instagram, devenue virale.

> Consultez le compte de Wizzy Gang

Dans la foulée, d’autres groupes se sont formés à Marseille, à Paris, à Toulouse. Depuis, le mouvement prend de l’ampleur et attire même l’attention des médias grand public, qui raffolent de ces justiciers nocturnes et engagés.

« De base, c’était plutôt pour se marrer, reconnaît Mathieu Brulart, 26 ans, du Wizzy Gang. Mais au fur et à mesure, on a pris conscience de certaines choses. »

PHOTO FOURNIE PAR WIZZY GANG

Malgré le couvre-feu, qui les oblige à restreindre leurs activités, les membres de ces mouvements sont rarement embêtés par la police, qui les observe plutôt avec bienveillance.

Conscience, entre autres, de l’importance de s’engager pour faire avancer les choses.

De « l’amusement » est ainsi née une « forme de militantisme », qu’il assume parfaitement aujourd’hui.

« On est une génération qui a un peu pris le réchauffement climatique sur ses épaules, explique Mathieu. On n’a pas vraiment choisi de vivre avec ça. »

On ne se sent pas forcément coupables. Mais on se sent responsables. Alors, on n’attend plus que les décisions viennent d’en haut. On se retrousse les manches et on essaie de voir ce qu’on peut faire.

Mathieu Brulart, du Wizzy Gang

Que ce soit à Paris ou à Rennes, ces actes de désobéissance civile semblent en tout cas avoir l’approbation des autorités. Malgré le couvre-feu, qui les oblige à restreindre leurs activités, nos amis sont rarement embêtés par la police, qui les observe plutôt avec bienveillance.

« On a été contrôlés cinq fois. Parfois, ils ne regardent même pas nos attestations. Il y en a même un qui nous a dit : “C’est génial, ce que vous faites” », raconte Kevin.

Mathieu sait qu’une centaine d’enseignes ne régleront pas le problème de la pollution nocturne. Mais il remarque qu’à Rennes, certains commerces ont commencé à éteindre les leurs, signe d’un début de conscientisation.

Il espère que l’aspect ludique, voire « branché », de ces opérations donnera envie à d’autres jeunes de leur emboîter le pas, peu importe la façon.

« Nos actions sont peut-être limitées du point de vue de la consommation globale, mais si c’est le reflet d’une génération qui prend les choses en main, et que s’occuper des questions de réchauffement climatique devient cool, alors c’est autre chose. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Au Québec, contrairement à la France, aucune loi ne régit l’éclairage nocturne.

Et ici ?

Au Québec, contrairement à la France, aucune loi ne régit l’éclairage nocturne. Mais en 2016, le Bureau des normes du Québec a établi une série de normes concernant la quantité, la couleur, l’orientation et la durée de l’éclairage nocturne. Ces recommandations excluent les éclairages pour la sécurité et la sécurité routière.

> Consultez le site du Bureau des normes du Québec

Président d’IDA Québec (International Dark-Sky Association), Mihai Pecingina est l’une des personnes qui ont travaillé sur ce dossier.

Bien que ces normes soient un bon début, il souligne que leur application n’est pas obligatoire, mais facultative. Il ne comprend pas pourquoi le Québec n’a toujours pas adopté de règlement plus « coercitif » sur cette question, malgré les appels répétés de son association au provincial et au municipal.

« Pour l’instant, il n’y a rien », regrette-t-il.

IDA Québec évalue à 110 milliards de dollars par année le gaspillage dû à la pollution lumineuse à l’extérieur.

Selon M. Pecingina, éteindre les enseignes commerciales serait un pas dans la bonne direction, puisqu’elles n’ont aucune justification sécuritaire.

« C’est un outil de publicité et de marketing, c’est tout », dit-il.