Le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques ordonne à un promoteur immobilier qui a déjà entretenu des liens d’affaires avec le crime organisé de nettoyer un vaste terrain de Rivière-des-Prairies pollué par des déversements illégaux de sols contaminés.

Le ministère de l’Environnement et les autorités municipales avaient à l’œil depuis des années le grand terrain près du boulevard Gouin, dans le secteur du Faubourg Pointe-aux-Prairies, où doit être aménagé un ensemble mixte résidentiel et commercial.

« Jusque dans les années 1970, ces lots étaient dédiés à un usage exclusivement agricole », rappelle le ministre dans son ordonnance. Encore en 2004, ils étaient « majoritairement exempts de contamination ».

Ensuite, la situation s’est dégradée.

Le terrain a été remblayé sur une épaisseur de 1,5 à 2,5 mètres. Des tests ont révélé que s’y trouvaient environ 106 000 mètres cubes de sols contaminés à divers degrés. Le remblai contenait de 5 % à 25 % de déchets comme de la brique, du béton, du bois, du plastique et de l’asphalte à certains endroits. Des contaminations aux hydrocarbures et aux métaux ont aussi été observées.

À l’automne, la mairesse de l’arrondissement, Caroline Bourgeois, avait demandé l’aide du ministre Benoit Charette.

« Comme un terrain contaminé est un énorme problème pour un secteur résidentiel, situé tout près de la rivière et d’un éco-territoire de surcroît, je sollicite donc votre collaboration afin d’exiger du propriétaire qu’il retire les terres contaminées du site », écrivait-elle dans une lettre que La Presse a obtenue.

Un promoteur et son passé

Le terrain appartient à l’entreprise Les Constructions Fédérales, mais c’est l’entreprise Dév Pacifique qui agit comme « promoteur et chargée de projet des travaux ».

Dév Pacifique appartient à la conjointe de Rhéal Dallaire, homme d’affaires condamné pour fraude dans les années 1990, qui a déjà entretenu des liens d’affaires avec le crime organisé.

Une entreprise enregistrée au nom de sa conjointe est propriétaire de la maison où disait habiter Stefano Sollecito, chef présumé du clan sicilien de la mafia montréalaise, l’an dernier. En 2019, M. Dallaire a vendu trois terrains vacants dans l’est de Montréal au fils du défunt parrain Vito Rizzuto, pour 11 800 $. Il a déjà admis avoir fait affaire avec l’entreprise de construction de Domenico Arcuri, homme qui a été impliqué dans une guerre pour le contrôle de la mafia en 2011. Il était l’un des créanciers de l’entreprise de décontamination Carboneutre, dont l’infiltration par le crime organisé a été démontrée devant la commission Charbonneau.

Contestation à venir

Dév Pacifique a fait valoir auprès du Ministère que le propriétaire et le promoteur actuels ne pouvaient être tenus responsables de la contamination parce qu’une partie du remblai aurait été effectuée alors que le terrain appartenait à un ancien propriétaire et que des personnes inconnues y auraient ensuite fait des déversements sauvages sans autorisation.

Dans son ordonnance, le ministre affirme toutefois que la preuve amassée démontre que le promoteur a utilisé ces sols déversés illégalement ainsi que des sols excavés sur les lieux d’autres projets de construction pour remblayer le terrain. Il ordonne donc au propriétaire et au promoteur de retirer tout le remblai, à leurs frais.

La mairesse d’arrondissement, Caroline Bourgeois, s’est réjouie de l’intervention du gouvernement, jeudi.

« Les citoyens du Faubourg Pointe-aux-Prairies se sont fait promettre un quartier vert et se retrouvent plutôt avec un immense terrain vague contaminé à l’entrée de leur quartier », a-t-elle déclaré, en soulignant que l’ordonnance du ministre permettait d’« enfin entrevoir la lumière au bout du tunnel » dans ce dossier.

Le promoteur et le propriétaire ont déclaré dans un message envoyé à La Presse qu'ils contesteront l’ordonnance devant les tribunaux. Ils assurent que le faible degré de contamination de la « très grande majorité » des sols permet un ensemble commercial ou résidentiel.

Ils ajoutent que l’ordonnance causera un préjudice à l’environnement en forçant le transport par camion des sols faiblement contaminés, ce qui « produira une quantité importante de gaz à effet de serre ».