Vous habitez une municipalité tranquille des Laurentides.

Une sablière s’installe près de chez vous. Le vacarme est pénible. Les camions font des allers-retours sur la route locale auparavant paisible.

Vous auriez aimé le savoir avant que le bureau régional du ministère de l’Environnement ne donne son autorisation. Et vous aimeriez vérifier si l’entreprise respecte les conditions imposées. Par exemple, est-ce normal que les camions circulent aussi la fin de semaine ?

Tout cela, ce devait être de l’histoire ancienne. L’ex-gouvernement libéral avait promis d’y remédier.

En 2017, le ministre David Heurtel simplifiait la lourde procédure d’autorisation des projets. En contrepartie, il promettait plus de transparence.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques

Un registre public serait créé en ligne pour connaître les projets soumis et approuvés ainsi que les études et les conditions qui s’y rattachent, comme pour la protection de l’eau et des sols.

Mais ne cherchez pas ce registre en ligne. Il n’existe pas. Peu avant d’adopter cette nouvelle Loi sur la qualité de l’environnement (LQE), le ministre Heurtel a réservé une surprise : il reportait la création du registre à une date devant être déterminée par décret.

Cela fait exactement quatre ans. Et on attend encore.

Jean Baril, professeur de droit de l’environnement à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et spécialiste de l’accès à l’information, s’impatiente. Il a le sentiment de s’être fait avoir.

À l’époque, il avait appuyé la refonte de la LQE.

J’essayais de convaincre les environnementalistes que c’était un compromis acceptable, grâce au gain en transparence. Mais le Ministère n’a pas respecté son engagement.

Jean Baril, professeur de droit de l’environnement à l’UQAM et spécialiste de l’accès à l’information

J’ai vérifié auprès du cabinet du ministre caquiste de l’Environnement, Benoit Charette. « On peut s’attendre à ce que le déploiement du registre en ligne débute en 2022 », m’assure-t-on. Mais M. Baril est sceptique. « Quand j’appelle au Ministère, ils sont incapables de me dire si quelqu’un travaille là-dessus ! Ça fait quatre ans ! S’ils cédaient aux pressions de l’industrie, ils n’agiraient pas autrement… »

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Le défi technologique n’est pourtant pas insurmontable. Il existe déjà un registre web pour les grands projets, comme un prolongement d’autoroute, une nouvelle mine à ciel ouvert ou le Réseau express métropolitain dans l’Est. En quelques clics, on y trouve tout.

Mais pour les quelque 3000 autres plus petits projets déposés chaque année, les citoyens et les villes doivent entamer un processus au nom ironique : la demande d’accès à l’information.

Elle donne surtout le droit de poireauter un ou deux ans avant de se faire dire non.

En théorie, un citoyen peut demander à avoir des informations sur celui qui dynamite la colline à côté de chez lui. Il ne recevra que le nom de l’entreprise — souvent une entreprise à numéro. Pour les autres documents, la société a un droit de veto, alors elle s’y oppose.

Et même si l’information était dévoilée, il serait souvent trop tard. Les projets sont seulement connus des citoyens une fois qu’ils sont en marche.

Depuis 2017, les municipalités sont informées à l’avance des demandes d’autorisation, mais elles ne voient pas les autres documents exigés par le Ministère, comme les études sur la nappe phréatique faites par les consultants payés par le promoteur. Les élus locaux ne peuvent donc pas y opposer une contre-expertise.

C’est ce qui est arrivé à Chertsey, qui s’est battu jusqu’en Cour supérieure il y a quelques années pour obtenir ces informations.

Le plus absurde, c’est que ces demandes génèrent une bureaucratie inutile. Le ministère de l’Environnement en reçoit plus de 10 000 par mois, qui doivent être traitées par des fonctionnaires. Il serait tellement plus simple de mettre les informations en ligne.

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L’industrie est méfiante.

Hélène Lauzon, directrice du Conseil patronal de l’environnement, craint que des secrets commerciaux soient éventés.

Pour des raisons de sécurité, dit-elle, une entreprise ne voudra pas dévoiler où sont stockés ses métaux précieux ou ses substances explosives. Et pour la concurrence, elle ne veut pas détailler les intrants utilisés pour fabriquer son produit.

Elle déplore aussi que si le nouveau registre web était en vigueur, le ministre pourrait prendre tout son temps pour dire si une donnée peut rester confidentielle, alors que l’entreprise n’aurait que 15 jours pour contester sa décision.

Des entrepreneurs se plaignent aussi que les élus municipaux ont peu de moyens ou d’expertise pour évaluer leurs projets.

Reste qu’à l’heure actuelle, le déséquilibre est total. L’opacité règne et les entreprises en profitent.

Si seulement on pouvait se fier au Ministère…

Depuis 2011, un processus administratif permet de donner des contraventions au lieu d’intenter des poursuites. Or, les amendes sont rares et peu dissuasives.

Il manque aussi d’inspecteurs pour vérifier si les milliers de projets éparpillés sur notre territoire respectent les conditions imposées.

De l’aveu du Ministère, les municipalités sont leurs yeux sur le terrain. Et pourtant, il continue de leur cacher la vue.

L’air et l’eau sont des biens publics, et les entreprises surveillées agissent en entreprises civilisées.

Pourquoi attendre de créer un registre en ligne ?

Le ministre Charette a une belle occasion de faire mieux que son prédécesseur. Mais on va le croire quand on va le voir…

> Lisez la lettre de Jean Baril « Environnement : qui retarde la publication d’informations environnementales ? »