Ottawa a annoncé vendredi son plan pour protéger l’habitat essentiel du chevalier cuivré, une espèce de poisson en voie de disparition unique au monde, qui est menacé par le projet de terminal portuaire à Contrecœur. Sauf que du même souffle, le gouvernement fédéral a annoncé son intention d’autoriser le projet dans sa forme actuelle.

Comme prévu, un projet d'arrêté ministériel annonçant la protection du chevalier cuivré a été publié vendredi dans la Gazette officielle. Le texte en précise la portée en indiquant qu’il s’applique à tout l’habitat essentiel de l’espèce qu’on retrouve en Montérégie principalement dans le fleuve Saint-Laurent et la rivière Richelieu.

PHOTO FOURNIE PAR LE MINISTÈRE DES FORÊTS, DE LA FAUNE ET DES PARCS

Le chevalier cuivré est une espèce de poisson en voie de disparition unique au monde.

Mais le gouvernement fédéral annonce également qu’« on ne s’attend donc pas à ce qu’un promoteur de projet ait à supporter une charge administrative accrue à la suite d’un arrêté en conseil sur l’habitat essentiel ». On indique aussi que « le décret concernant l’habitat essentiel ne devrait pas avoir de répercussions considérables sur le projet de Contrecœur dans le cadre de l’évaluation environnementale, ou par la suite durant l’examen du projet par le MPO en vertu de la Loi sur les Pêches et de la LEP. »

« Ça semble arrangé à l’avance avec le gars des vues », affirme Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Québec (SNAP). « Le décret couvre tout l’habitat essentiel. C’est solide, ça correspond à ce qu’on attend, indique-t-il. Mais en même temps, le gouvernement dit à l’avance qu’il va autoriser le projet de Contrecœur avant même qu’on lui ait fait la demande ! »

Trois exceptions prévues à la loi

Pour le directeur de la SNAP, la pression sera énorme sur ceux qui auront à évaluer une demande d’autorisation en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP). Ils devront tenir compte de l’arrêté ministériel qui prévoit la protection intégrale de l’habitat de l’espèce. De plus, la LEP permet seulement trois exceptions pour intervenir dans un habitat essentiel désigné officiellement, soit des activités « de recherches scientifiques sur la conservation des espèces menacées », une activité qui profite à l’espèce ou « une activité qui ne touche l’espèce que de façon incidente ».

Or, Ottawa signale qu’« en ce qui concerne le projet de port à conteneurs Contrecœur, le MPO [ministère des Pêches et Océans] connaissait les zones sensibles pour le chevalier cuivré et a tenu compte de cette information dans le cadre de sa participation à l’évaluation environnementale du projet de Contrecœur. La même approche est appliquée durant l’élaboration, en collaboration avec le promoteur, du plan de compensation des répercussions du projet sur l’habitat du chevalier cuivré ».

« On dit qu’on va compenser, mais on n’a aucune expertise scientifique pour le chevalier cuivré, tonne M. Branchaud, qui est aussi biologiste. Ce n’est pas sérieux ! On est dans une crise de biodiversité et on fait encore des niaiseries comme ça, ça n’a pas de bon sens. »

Joint par La Presse pour commenter le dossier, Pêches et Océans Canada a indiqué qu’il « ne pouvait garantir une réponse avant la fin de la journée ».

Jeudi, l’Administration portuaire de Montréal (APM) a indiqué par courriel qu’elle « réitère sa volonté de respecter l’ensemble de la réglementation applicable et de déployer les meilleures mesures de compensation pour gérer les impacts de façon responsable, des mesures qui ont été développées et continuent d’être améliorées en concertation avec les autorités et experts concernés ».

L’arrêté ministériel fait suite à un recours juridique déposé en Cour fédérale en janvier dernier par la SNAP et le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE). Les deux organisations voulaient forcer Ottawa à respecter ses propres lois. La Loi sur les espèces en péril prévoit que le gouvernement fédéral aurait dû adopter un décret pour protéger l’habitat du chevalier cuivré il y a huit ans.

Par voie de communiqué, la directrice générale du CQDE, Geneviève Paul, a déclaré que « les commentaires formulés nous semblent non seulement prématurés, mais aussi contraires à notre interprétation de la loi ».

Les deux organisations ont signalé qu'elles entendent poursuivre leurs démarches juridiques.

Une période de consultation de 30 jours est prévue avant l'adoption définitive de l'arrêté ministériel.

Le projet de terminal portuaire à Contrecœur, estimé à 750 millions de dollars, est prévu dans le cœur de l’habitat essentiel du chevalier cuivré. Ottawa a déjà promis 300 millions de dollars avant même que l’évaluation environnementale ne soit complétée. De son côté, le gouvernement du Québec a annoncé une subvention de 55 millions au projet qui permettrait de créer 1000 emplois, selon le promoteur.

> Consultez l’arrêté ministériel