Légumes, céréales, conserves, pains : plusieurs fois par semaine, la petite équipe de bénévoles de Raïs Zaidi – surnommé le Pirate vert – distribue gratuitement de la nourriture récupérée dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal.

Les rafales ébouriffent les cheveux de Christiane Emond, bénévole depuis un an pour l’organisme à but non lucratif les Pirates verts. Malgré le vent et la grisaille de décembre, elle est à son poste rue Dézéry, près de la rue Adam, à Montréal. Des bornes de ciment fournies par l’arrondissement délimitent un espace en bordure de la rue, où sont alignés des tables et un congélateur. Comme tous les mardis et vendredis depuis six ans, les Pirates verts distribuent des surplus de nourriture récupérée… de banques alimentaires.

Ils nourrissent ainsi entre 200 et 300 personnes par semaine.

Le Canada est l’un des pays avec le plus haut taux de gaspillage alimentaire, selon le plus récent rapport du programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). En 2019, trois millions de tonnes de nourriture se sont retrouvées à la poubelle. C’est l’équivalent du poids de près de 94 000 gros camions à ordures !

Avec 79 kilogrammes de nourriture jetée par habitant, les Canadiens surpassent même les Américains. Toutefois, une large part du gaspillage a lieu bien avant, soit tout au long de la chaîne agroalimentaire, de la culture à la transformation.

Raïs Zaidi, quinquagénaire barbu aux longs dreadlocks, a fait de la récupération alimentaire une mission. Technicien dans l’évènementiel, ancien gérant du mythique Café Chaos de la rue Saint-Denis et cuisinier de formation, il a amorcé son projet de nourrir les plus démunis à partir d’aliments récupérés à Occupons Montréal, en 2011.

C’est en 2016, avec sa propre voiture et de façon complètement bénévole, qu’il a commencé à distribuer devant chez lui les surplus de ses collectes de déchétarisme (nourriture encore consommable jetée par les épiceries). Il a depuis rallié tout un quartier.

Récupérer la nourriture déjà récupérée

À Montréal, l’organisme Moisson Montréal récupère les invendus alimentaires de grossistes et supermarchés pour les redistribuer. En 2018, l’organisme a évité de jeter 1,2 million de kilogrammes de nourriture pour la donner à 250 organismes communautaires montréalais.

Or, les banques alimentaires sont souvent ouvertes seulement quelques jours par semaine. La nourriture qui ne trouve pas preneur finit parfois… au compost. C’est ici que le Pirate vert intervient. « Il y a cinq ans environ, j’ai eu un premier contact avec une banque [alimentaire] à Verdun. Un membre m’a contacté pour me dire qu’ils mettaient plein de nourriture au compost, et il essayait de les convaincre de me les donner », explique Raïs Zaidi.

Depuis, d’autres banques alimentaires d’Anjou et de Montréal-Nord ont commencé à donner leurs restes à M. Zaidi. « On [en] ramasse aussi, de temps en temps, dans quelques épiceries, commerces et dans des évènements. Chaque semaine on reçoit des appels du monde qui demande si on peut aller chercher des restants ou des surplus », précise Raïs Zaidi.

La distribution se fait directement dans la rue Dézéry, devant l’appartement de M. Zaidi, à raison de deux fois par semaine. La file d’attente peut s’étendre jusqu’à la rue Adam lors des plus grosses journées, s’étonne Christiane Emond.

  • La distribution se fait deux fois par semaine dans la rue Dézéry, devant l’appartement de M. Zaidi.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    La distribution se fait deux fois par semaine dans la rue Dézéry, devant l’appartement de M. Zaidi.

  • Chaque personne peut repartir avec deux sacs d’épicerie de nourriture.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    Chaque personne peut repartir avec deux sacs d’épicerie de nourriture.

  • Le 14 décembre dernier, le groupe a distribué plus de 3300 kg de nourriture.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    Le 14 décembre dernier, le groupe a distribué plus de 3300 kg de nourriture.

  • La file d’attente est longue lors des plus grosses journées de distribution.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    La file d’attente est longue lors des plus grosses journées de distribution.

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Chaque personne peut repartir avec deux sacs d’épicerie de nourriture, jusqu’à ce que tout soit distribué. Depuis peu, les gens peuvent aussi donner quelques dollars, s’ils le souhaitent, pour contribuer aux frais d’essence.

On ne demande rien, aucune preuve [de revenu]. Si les gens veulent attendre 45 minutes dans le froid, dehors, ce n’est pas un luxe. C’est parce qu’ils en ont besoin.

Raïs Zaidi

En une seule journée, le 14 décembre dernier, le groupe a distribué plus de 3300 kg de nourriture – soit l’équivalent du poids de 16 réfrigérateurs.

Un pansement, pas une solution

Redonner les invendus ne règle cependant pas le problème du gaspillage alimentaire, affirme M. Zaidi. « Nous, on n’est pas une solution. On est la dernière étape, le dernier filet avant que ça tombe dans les conteneurs [à déchets]. »

Une vision partagée par Éric Ménard, chercheur spécialisé en gaspillage alimentaire. « Les banques alimentaires sont un pansement sur le gaspillage et sur la pauvreté, estime-t-il. Il faut trouver des solutions beaucoup plus à l’interne [du secteur agroalimentaire], parce que le gaspillage est assez intrinsèque au modèle d’affaires des grosses entreprises. »

Après plusieurs années à travailler dans l’ombre, Raïs Zaidi commence à être mieux connu dans son quartier. La députée libérale d’Hochelaga, Soraya Martinez Ferrada, l’a publiquement remercié lors d’une allocution à la Chambre des communes le 15 décembre.

Déjà, en septembre dernier, Raïs Zaidi avait aussi reçu la médaille de l’Assemblée nationale du Québec. « Pour votre opiniâtreté dans la distribution locale de denrées et pour votre implication dans la sécurité alimentaire du quartier », a indiqué le député de Québec solidaire dans Hochelaga-Maisonneuve, Alexandre Leduc.

Le rêve de Raïs Zaidi : avoir un local pour créer un véritable centre communautaire basé sur la nourriture et l’agriculture urbaine. À Montréal, « il n’y a pas de système pour récupérer des petits commerces, remarque le Pirate vert. Il nous manque un autre acteur, un bébé Moisson Montréal, pour les petites entreprises. J’aimerais remplir ce rôle, éventuellement. »

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