Après 20 ans de ravages, la progression de l’agrile du frêne à l’extérieur des zones déjà infestées semble stoppée, indique l’Agence canadienne d’inspection des aliments, organisme fédéral responsable de la phytoprotection. La dernière expansion territoriale date de février 2020 quand l’insecte est apparu dans plusieurs comtés dans le sud du Nouveau-Brunswick.

Au Québec, plusieurs régions comme Charlevoix, la Côte-Nord, la Gaspésie ou encore l’Abitibi sont toujours épargnées, mais les populations de frênes y sont habituellement moins grandes que dans les zones déjà envahies. Même situation en Ontario, en Nouvelle-Écosse ou encore au Manitoba, où seules les régions d’Halifax et de Winnipeg sont touchées.

Plusieurs scientifiques interrogés par La Presse restent toutefois sceptiques. Ils maintiennent que le début d’une invasion est très difficile à détecter et que la progression devrait reprendre éventuellement. L’agence rétorque que plusieurs pièges installés aux endroits stratégiques n’ont pas capturé d’agriles. Les deux blitz d’observation citoyenne menés en août, cette année et l’an dernier, n’ont révélé aucun dommage. L’organisation n’a cependant pas pu préciser le nombre de personnes ayant participé à la surveillance.

ILLUSTRATION GOUVERNEMENT DU CANADA

Selon l’Agence canadienne d’inspection des aliments, on ne signale aucune progression de l’agrile du frêne au Canada depuis février 2020. La carte ci-dessus présente les régions où l’agrile est présent aujourd’hui.

« C’est une bonne nouvelle », soutient Mireille Marcotte, directrice intérimaire de la Division des services scientifiques de la protection des végétaux.

Le public a été sensibilisé et ne transporte plus de bois de chauffage à l’extérieur des zones contingentées, la principale source de contamination sur le continent.

Mireille Marcotte, directrice intérimaire de la Division des services scientifiques de la protection des végétaux

L’agence compte donc maintenir sa politique de contingentement. Depuis janvier dernier, le gouvernement fédéral américain a pour sa part mis un terme à sa politique de quarantaine, parce que la mesure n’a pas freiné la progression de l’insecte qui peut facilement se déplacer de lui-même. Washington mise dorénavant sur la lutte biologique et la plantation d’hybrides résistants. Des espèces de frênes sont l’objet d’une industrie forestière très importante aux États-Unis, contrairement au Canada.

Des frênes matures condamnés

Isabelle Aubin suit le destin des frênes depuis la détection de l’agrile à Windsor, en Ontario, en 2002. L’été dernier, la chercheuse du Centre de foresterie des Grands Lacs, à Sault-Sainte-Marie, une division du Service canadien des forêts, a visité les parcelles qu’elle surveille un peu partout en Ontario.

Tous les arbres étaient morts, même ceux qui semblaient s’en sortir il y a quelques années à peine.

Isabelle Aubin, chercheuse du Centre de foresterie des Grands Lacs

Cette disparition progressive à l’échelle continentale ne veut pas dire pour autant que les 16 espèces de frênes nord-américains (dont 3 au Québec) vont disparaître. Le hic, c’est qu’après avoir infesté les arbres de plus grande taille, l’agrile s’attaque aux jeunes tiges dès qu’elles atteignent près de 2 cm de diamètre, explique Mme Aubin. La forêt originale disparaît progressivement pour faire place à une myriade d’arbustes immatures. L’impact est important sur le cycle de l’eau et sur celui des nutriments, ce qui affecte directement la faune et la flore. C’est particulièrement le cas du frêne noir : on en compterait autour de 71 millions au Québec, une des rares espèces d’arbres adaptées aux milieux humides.

Parasites et hybrides prometteurs

Pourtant, les scientifiques canadiens et américains misent justement sur ces arbres qui mettent le plus de temps à mourir pour obtenir des frênes hybrides. Ils pourraient, éventuellement, régénérer une partie des forêts originales. Nathalie Isabel, du Centre de foresterie des Laurentides, à Québec, décortique chez ces arbres les gènes responsables de cette résilience temporaire. On parle d’un arbre sur 10 000. De nombreux hybrides sont à l’essai actuellement, dans le cadre d’un projet étalé sur 10 ans.

Chercheur spécialisé dans la gestion des insectes nuisibles à Ressources naturelles Canada, Christian MacQuarrie travaille pour sa part à l’introduction de parasitoïdes. Ces petites guêpes parasitent les larves d’agrile avec leurs œufs.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

C’est la larve de l’agrile qui tue l’arbre en creusant des galeries sous l’écorce, empêchant ainsi la sève de circuler.

Aux États-Unis, des dizaines de milliers de guêpes ont été relâchées avec succès au cours des années, mais les parasitoïdes mettent souvent du temps avant d’avoir un impact perceptible sur l’agrile. Au Québec, des lâchers de guêpes ont eu lieu dans plusieurs municipalités, et une espèce est déjà bien implantée à Montréal. « Élever des agriles en laboratoire pour alimenter des parasitoïdes est extrêmement complexe, explique-t-il. Ensuite, il faut faire les lâchers en nature au moment approprié. Là encore, c’est très compliqué. Et le grand défi reste de mesurer l’impact réel de ces introductions. »

Pour M. MacQuarrie, ces petites guêpes ne sauveront probablement pas les arbres matures d’aujourd’hui, mais devraient avoir des effets sur les frênes de la relève.

Frênes, châtaigniers, ormes : des destins similaires

Introduite accidentellement d’Asie au début des années 1900, la brûlure bactérienne, un maladie fongique, a éliminé en quelques années pas moins de 4,5 milliards de châtaigniers, réduisant à néant une industrie forestière prospère aux États-Unis. L’espèce existe toujours (environ 431 millions d’individus), mais la plupart des spécimens sont de petite taille et considérés comme non viables à long terme. C’est que la maladie frappe avant que l’arbre n’ait le temps de fleurir et de se reproduire.

Des neuf milliards de frênes matures que compte le continent, des centaines de millions ont déjà rendu l’âme.

Ne survivent que les tiges émergeant des souches d’arbres morts, qui sont à leur tour attaquées avant qu’elles ne puissent produire de graines.

Par contre, l’impact de la maladie hollandaise de l’orme a été différent. L’orme d’Amérique est encore omniprésent dans notre environnement, en dépit de son prédateur fongique. C’est que le mal frappe habituellement les spécimens plus âgés qui ont eu le temps d’atteindre de grandes tailles et de produire beaucoup de semences.

En chiffres

85 000 : Nombre de frênes dans l’espace public aménagé à Montréal, avant l’invasion

50 % : Proportion des frênes de Montréal abattus pour stopper les ravages causés par l’agrile du frêne

72 000 : Arbres plantés depuis 2012 à Montréal

500 000 : Objectif du nombre d’arbres à planter d’ici 2030 à Montréal pour compenser les ravages de l’agrile

Source : Anthony Daniel, biologiste-entomologiste à la Ville de Montréal