Le recours au charbon est une « habitude mortelle », a dénoncé le secrétaire général de l’ONU, António Guterres. Le président de la COP26, le député britannique Alok Sharma, a appelé la planète à « remiser le charbon dans l’histoire ». Pas évident quand les deux plus grands acteurs de cette industrie, l’Australie et la Chine, refusent de rompre avec cette dangereuse dépendance.

L’Australie, les deux pieds dans les mines

PHOTO MARK BAKER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

L’Australie a produit 493 millions de tonnes de charbon en 2020, soit 6,5 % de la production mondiale, ce qui en fait le quatrième producteur en importance.

Quand la Cour fédérale australienne a rendu sa décision, le 27 mai dernier, sœur Brigid Arthur et les huit adolescents qu’elle représentait devant le tribunal ont d’abord cru que leur cause était perdue.

Après tout, le juge venait de rejeter leur demande d’injonction contre la construction d’une immense mine de charbon à ciel ouvert à 400 km au nord-est de Sydney.

La mine Vickery, un projet de la société Whitehaven Coal, prévoit l’extraction de 168 millions de tonnes de minerai noir en 25 ans, dans un pays qui carbure déjà au charbon.

« Mais en lisant bien le jugement, nous nous sommes rendu compte qu’en réalité, il était en notre faveur, que le rejet de l’injonction était basé sur de simples arguments techniques, alors que la décision imposait au gouvernement un devoir de diligence pour les générations futures », a dit Brigid Arthur, une religieuse de 87 ans qui représente les mineurs en lutte contre le charbon, jointe au téléphone mardi.

Ces adolescents, elle les décrit comme des « passionnés prêts à agir pour la planète ». La plus jeune de ces émules de Greta Thunberg s’appelle Izzy Raj-Seppings. Elle a tout juste 14 ans. Elle est à la tête du mouvement australien de grèves étudiantes pour le climat.

Anjali Sharma, elle, a 17 ans, et c’est son nom, Sharma, qui sert à identifier cette cause devenue célèbre.

Car en imposant au gouvernement de Canberra de veiller à la sécurité des adultes de demain, la justice australienne a marqué une première mondiale.

C’est une décision extrêmement importante en raison du précédent qu’elle établit, et parce qu’elle montre comment le gouvernement a jusqu’à maintenant failli à protéger les Australiens.

David Ritter, président de Greenpeace pour l’Australie et le Pacifique et auteur du livre La vérité sur le charbon

L’avocat des jeunes militants, David Barnden, explique que concrètement, le jugement oblige le gouvernement à se projeter dans le temps et à tenir compte du bien-être futur des enfants d’aujourd’hui dans ses évaluations de projets miniers.

La ministre australienne de l’Environnement, Sussan Ley, a immédiatement porté la décision en appel, un geste qui a provoqué une onde de choc dans l’opinion publique.

« De voir le gouvernement protester contre une décision qui l’oblige à protéger les enfants, c’est carrément révoltant », dit David Ritter, de Greenpeace.

La décision de la Cour d’appel pourrait tomber dans les prochaines semaines, mais tous s’attendent à ce que la cause atterrisse devant la Cour suprême.

En attendant que la justice tranche, le gouvernement australien s’est empressé d’approuver, en septembre, trois nouveaux projets de mines de charbon, dont la mine Vickery.

Mauvais joueur

L’Australie a produit 493 millions de tonnes de charbon en 2020, soit 6,5 % de la production mondiale, ce qui en fait le quatrième producteur en importance de ce minerai, derrière la Chine, l’Inde et l’Indonésie.

Production de charbon en 2020

Chine

3764 millions de tonnes (49,7 % de la production mondiale)

Australie

493 millions de tonnes (6,5 % de la production mondiale)

Source : Agence internationale de l’énergie

La vaste majorité du charbon australien – 390 millions de tonnes – est destinée à l’exportation. Ce qui place l’Australie au deuxième rang des plus grands exportateurs de charbon, presque à égalité avec l’Indonésie.

Le charbon australien contribue largement au réchauffement du climat. Si on veut avoir ne serait-ce que 50 % des chances de contenir la hausse des températures à 1,5˚C par rapport à l’ère préindustrielle, 95 % des gisements de charbon australiens devront rester enfouis dans le sol, affirme une récente étude publiée par la revue Nature.

Le gouvernement australien va en sens inverse. De passage à Glasgow, cette semaine, le premier ministre conservateur Scott Morrison a affirmé que c’est la technologie, plutôt que la fermeture des mines, qui permettra à son pays d’atteindre la carboneutralité en 2050.

PHOTO IAN FORSYTH, AGENCE FRANCE-PRESSE

Scott Morrison, premier ministre australien, lors de son passage à la COP26 de Glasgow

« La technologie fournira les réponses pour une économie décarbonée sans priver les citoyens de leurs moyens de subsistance », a-t-il plaidé.

Cette formule miracle ne tient pas la route, tranche Richie Merzian, directeur du programme climat et énergie au centre de recherche Australia Institute.

Ce que Morrison dit, en gros, c’est que les gouvernements n’ont rien à voir dans la lutte contre le réchauffement climatique, c’est une approche de lâches, qui donne l’autorisation à d’autres pays qui le voudraient de ne rien faire, eux non plus.

Richie Merzian, directeur du programme climat et énergie au centre de recherche Australia Institute

Comble de l’ironie, une société minière australienne, Santos, tient un kiosque au centre d’exposition organisé en marge de la COP26 de Glasgow. Les curieux qui s’y arrêtent ont pu voir le PDG de Santos, Kevin Gallagher, et le ministre de l’Énergie et de la Réduction des émissions, Angus Taylor, vanter les mérites d’un projet de captation de carbone.

Richie Merzian n’en revient pas de la place donnée à un fabricant australien d’énergie fossile à l’endroit même où se joue le sort de la planète. D’autant plus qu’en même temps, le gouvernement de Scott Morrison a refusé de se joindre aux 90 pays qui se sont engagés à réduire les émissions de méthane de 30 % d’ici 2030. Ces émissions sont causées, entre autres, par l’extraction de charbon.

C’est ce genre de double discours qui vaut au gouvernement de Scott Morrison l’étiquette de mauvais joueur qui refuse de sortir les mains des mines de charbon, tout en essayant de se donner bonne image.

Une industrie omniprésente

Les incendies dévastateurs de l’été 2020 ont détruit 35 millions d’hectares de forêts australiennes. C’est plus que tout le territoire de la Belgique. L’Australie a connu des sécheresses dévastatrices, tandis que le réchauffement climatique détruit à une vitesse vertigineuse ses barrières de corail qui attirent les touristes – et créent elles aussi des emplois. « Ce sont 60 000 emplois dans le corail qui sont menacés par l’industrie du charbon », estime David Ritter.

Émissions moyennes de CO2 par habitant

Chine

7,38 tonnes (émissions totales de 10 milliards de tonnes)

Australie

17,1 tonnes (émissions totales de 415 millions de tonnes)

Monde

4,79 tonnes (émissions totales de 35 milliards de tonnes)

Source : Worldometer

Les sondages démontrent que plus de 60 % des Australiens souhaitent que leur gouvernement lance une offensive pour protéger le climat. Pourtant, Canberra rame en sens inverse. Pourquoi ? En Australie, l’industrie des énergies fossiles entretient des liens étroits avec le pouvoir. Les sociétés minières ou gazières sont partout, elles financent des équipes de football, des zoos, des festivals de films, énumère David Ritter.

Plus que ça : un site d’information indépendant, Crikey, a récemment dévoilé que près du quart des députés du Parti national, qui fait partie de la coalition au pouvoir, possèdent des actions substantielles dans des entreprises de ressources fossiles, dont le charbon. En tournant le dos au charbon, ils agiraient contre leurs propres intérêts financiers.

Le gouvernement essaie de faire peur au monde en disant qu’en abandonnant le charbon, l’Australie perdra des emplois, mais en réalité, plus de gens travaillent chez McDonald’s que dans toute l’industrie du gaz et du charbon.

Richie Merzian

« Pendant des décennies, le gouvernement australien a tenu pour acquis que ses intérêts nationaux coïncidaient avec les intérêts des entreprises d’énergies fossiles », ajoute Richie Merzian.

Pourtant, dit-il, « l’Australie ne manque pas de possibilités » hors des industries extractives. « Ce qui manque, c’est la volonté politique. »

Le dilemme de la Chine

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Quand il s’était présenté devant le 19e congrès du Parti communiste chinois, où se jouait le sort de son deuxième mandat à la tête du pays, il y a quatre ans, le président Xi Jinping avait décrit sa vision de la Chine en quatre mots : riche, puissante, forte et belle.

Dans l’esprit de Xi Jinping, « belle signifie verte », dit Steve Tsang, spécialiste de la Chine à l’Université SOAS de Londres.

Dans sa doctrine, Xi Jinping décrit aussi la Chine comme une « civilisation écologique ». Ce sont les mots qu’il a utilisés lors de la COP15 sur la biodiversité qui a eu lieu à Kunming, en Chine, à la mi-octobre. La Chine se consacre « à la coordination des relations entre l’être humain et la nature », a-t-il alors assuré.

PHOTO CARLOS GARCIA RAWLINS, ARCHIVES REUTERS

Xi Jinping, président de la Chine, lors d’un discours commémorant le 110e anniversaire de la révolution Xinhai, au début du mois d’octobre

Selon Steve Tsang, ces discours ne sont pas vides. Ces dernières années, la Chine a vraiment voulu lancer un virage vert. Y compris en essayant de mettre un frein sur le recours au charbon, dont elle est de loin le plus important producteur et consommateur mondial. Et en investissant massivement dans les sources d’énergie renouvelables. « Le ciel de Pékin n’a jamais été aussi bleu que ces dernières années », observe Steve Tsang.

Pannes de courant

Mais le pays roule encore essentiellement au charbon. Et quand l’approvisionnement de cette énergie fossile ralentit, c’est toute la planète qui s’en ressent. En 2020, la Chine a produit 3763 millions de tonnes de charbon – près de la moitié de la production mondiale. Le minerai est destiné essentiellement au marché intérieur.

La Chine est aussi le plus grand producteur d’énergies vertes, mais ce n’est simplement pas assez pour les besoins de ce pays.

Steve Tsang, spécialiste de la Chine à l’Université SOAS de Londres

Et 60 % de sa production électrique est toujours basée sur le charbon.

Selon le chercheur, un des problèmes de la Chine, c’est que son réseau de distribution énergétique est extrêmement inefficace. La transition verte est d’autant plus délicate. Au printemps 2021, la Chine a été touchée par une épidémie de pannes de courant qui ont d’abord sévi dans le sud du pays, avant de s’étendre dans une vingtaine de provinces au cours de l’automne.

Résultat : des chaînes de production ont été mises sur pause, avec un impact sur les réseaux de distribution partout dans le monde. Dans la province du Zhejiang, les 200 usines de teinture qui répondent aux besoins de 40 % de l’industrie textile chinoise sont encore touchées par ces pannes, et resteront fermées au moins jusqu’en décembre, faute de courant, rapporte le journal Les Échos.

Plusieurs facteurs contribuent à cette épidémie de pannes : des inondations ont forcé la fermeture d’une soixantaine de mines de charbon dans la région du Shanxi, dans le nord-est du pays, alors que la hausse du prix du gaz a poussé des entreprises à se rabattre sur ce minerai – dont le prix a fini par s’envoler aussi.

Il y a aussi les tensions politiques avec Canberra, qui ont incité Pékin à réduire les importations de charbon australien. Résultat : à la veille de la COP26, Pékin n’a pu faire autrement que de demander à ses mines de s’atteler à la tâche et de cracher davantage de charbon. En Mongolie intérieure, 70 mines ont reçu l’ordre d’accélérer la cadence et d’augmenter leur production de 100 millions de tonnes.

Finalement, Xi Jinping a beau vouloir peindre la Chine en vert, il n’y arrive pas, du moins pas aussi vite qu’il le souhaiterait. C’est ce qui explique l’absence du président de la République populaire de Chine à Glasgow, selon Steve Tsang.

[Xi Jinping] ne pouvait pas aller à la COP26, il y aurait fait face à des questions et des pressions gênantes, et il ne voulait pas être embarrassé.

Steve Tsang

Selon le chercheur, dans les circonstances actuelles, la Chine ne pouvait pas faire autrement que de se rabattre, du moins temporairement, sur le charbon.

Il ne doute pas pour autant de la sincérité des objectifs verts de Xi Jinping. « Il ne le fait pas pour répondre aux préoccupations des militants écologistes, mais parce qu’il sait que si le Parti communiste veut rester au pouvoir, il doit adopter des politiques plus vertes. »

Il reste à savoir à quel rythme.