Pour que les travailleurs et travailleuses ne fassent pas les frais de la lutte contre la crise climatique, le concept de transition juste a été inscrit dans l’accord de Paris. Mais le Québec et le Canada traînent la patte, déplorent différents acteurs, dont la FTQ.

« On a une immense corvée devant nous et il faut aller de l’avant », lance Patrick Rondeau.

La transition écologique ne se fera pas en douceur si elle n’est pas « juste », prévient le conseiller à l’environnement et à la transition juste à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), plus important syndicat de la province, qui participe à la conférence des Nations unies sur le climat (COP26), à Glasgow.

Et il n’est pas le seul à le dire.

« Il y a encore beaucoup de travail à faire pour que la transition juste devienne un élément clé des plans climatiques de tous les États », observe Eddy Pérez, directeur de la diplomatie climatique internationale au Réseau action climat Canada.

C’est particulièrement vrai pour le Québec et le Canada, dit-il.

Le concept de transition juste, inscrit dans le préambule de l’accord de Paris sur le climat, en 2015, implique de prendre en compte l’impact qu’a sur les travailleurs et travailleuses ainsi que sur les communautés la transition que la crise climatique impose.

La première chose qu’on doit se demander, c’est quels seront les effets [des politiques climatiques] sur les gens que ces politiques touchent, mais aussi quels seront les effets des changements climatiques sur ces gens-là, sur les secteurs de l’économie qu’ils touchent.

Eddy Pérez, du Réseau action climat Canada

Impliquer les travailleurs

Mais il ne faut pas penser la transition en réfléchissant simplement à la manière de « recycler » les travailleurs des secteurs concernés, prévient Patrick Rondeau, qui en est à sa quatrième COP.

« Le problème avec cette réflexion-là, c’est que ça braque les milieux de travail », dit-il.

Il faut plutôt, de concert avec les principaux intéressés, « déterminer comment on peut décarboner un milieu de travail tout en essayant de maintenir les emplois et améliorer les conditions de travail », explique-t-il.

Il faut établir un plan avec eux, pas pour eux.

Patrick Rondeau, de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec

Le député péquiste de Jonquière, Sylvain Gaudreault, qui milite lui aussi pour la transition juste – il a déposé un projet de loi et fait adopter par l’Assemblée nationale une motion créant un groupe de travail sur le sujet, en octobre –, abonde dans le même sens.

« J’ai toujours dit que les travailleurs d’usine étaient davantage prêts à transformer leurs industries que les patrons », écrit-il d’ailleurs dans son livre Pragmatique – Quand le climat dicte l’action politique, publié en septembre.

« Il faut travailler à transformer les milieux de travail », explique-t-il à La Presse, qui l’a joint à Glasgow, où il participe aussi à la COP26.

Bien sûr, certaines entreprises sont vouées à disparaître dans un monde décarboné, dit Patrick Rondeau, et dans ce cas, les programmes d’accompagnement des travailleurs en vue de leur réorientation de carrière seront nécessaires.

« Mais on ne commence pas par ça ! », lance-t-il.

Impact important au Québec

Le gouvernement Legault « sous-estime l’impact de la transition écologique et économique sur les industries au Québec », estime Sylvain Gaudreault, qui croit que c’est parce que l’économie de la province ne dépend pas de l’industrie des énergies fossiles.

« C’est comme si le gouvernement voyait moins le problème, mais il va y avoir des enjeux », prévient-il.

Pas moins de 700 000 emplois au Québec sont associés aux secteurs des transports, des bâtiments et de l’énergie, qui seront touchés par la transition, notait en 2018 un rapport du Groupe de travail sur la main-d’œuvre, composé de HEC Montréal, d’Équiterre, de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et de Fondaction.

« On demande depuis 2009 de mettre en place un groupe de travail pour définir un concept adapté pour le Québec, définir des outils », s’impatiente Patrick Rondeau, qui a de grandes attentes à l’égard de la première réunion du groupe de travail mis sur pied à la suite de la motion de Sylvain Gaudreault, prévue en décembre.

Ottawa tarde aussi

Le gouvernement fédéral, qui a mis sur pied l’été dernier un groupe de travail sur la transition juste, s’y prend toutefois mal, estime Eddy Pérez, qui lui reproche d’avoir présenté les mesures qu’il allait mettre en place avant de consulter les communautés concernées.

Cette façon de faire cause du retard, dit-il, ce qui suscite beaucoup d’incertitude chez les travailleurs et travailleuses de l’industrie pétrolière et gazière en particulier, dont environ la moitié des emplois disparaîtront dans la prochaine décennie, prévoit un rapport du Réseau action climat Canada publié en septembre.

« L’Espagne a une loi sur la transition juste qui est alignée avec son plan sur la carboneutralité », ce qui pourrait inspirer le Canada, illustre Eddy Pérez.

Patrick Rondeau donne l’exemple de la Suède, où les communautés, les investisseurs, les employés, les employeurs et l’État ont travaillé conjointement pour transformer les aciéries.

« Et ils produisent aujourd’hui un acier carboneutre, s’enthousiasme-t-il. C’est ça qu’on cherche à faire, remodeler notre secteur industriel en impliquant les travailleurs et les travailleuses. »

56 000 

Nombre d’emplois « de rechange » qui doivent être créés dans la prochaine décennie au Canada pour les travailleurs du secteur des énergies fossiles.

Source : Réseau action climat Canada