La fabrication des biens que les pays émergents exportent vers les pays riches crée beaucoup de pollution. Assez pour causer chaque année 2 millions de morts prématurées, selon une nouvelle étude japonaise. Ses auteurs appellent à l’instauration de barrières tarifaires pour encourager des règles antipollution plus strictes dans les pays pauvres.

Particules fines

Les centrales électriques de nombreux pays émergents émettent beaucoup de « particules fines » (PM2,5), parce qu’elles brûlent du charbon. Ces centrales sont fort sollicitées par les usines fabriquant des biens à destination des pays riches. « Selon nos calculs, la moitié des 4 millions de morts prématurées dans le monde sont liées aux biens produits dans les pays émergents à destination des pays riches », explique Keisuke Nansai, de l’Institut national d’études environnementales du Japon, qui est l’auteur principal de l’étude publiée le 2 novembre dans la revue Nature Communications. « En général, il s’agit de personnes âgées, mais cela inclut aussi 78 600 morts de bébés. » Les pays riches de l’étude, une modélisation très compliquée, correspondent aux pays du G20.

Éthique des entreprises

M. Nansai veut rendre les consommateurs des pays riches conscients des conséquences mortelles de leurs achats. « Les gouvernements sont au courant de ces phénomènes, mais ils n’ont pas de mandat populaire pour aider les pays émergents à rehausser leurs règlements antipollution, dit l’ingénieur chimique japonais. Si les consommateurs se rendent compte de ces morts complètement évitables, ils vont accepter que l’aide aux pays émergents augmente sur ce point. »

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Keisuke Nansai, auteur principal de l’étude

François Reeves, cardiologue au Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM), confirme que la mortalité liée aux particules fines est un problème criant. S’il convient que les conditions dans lesquelles travaillent les employés qui produisent ces biens, par exemple en Chine, peuvent s’apparenter à de l’« esclavage », le DReeves rappelle toutefois que « ces usines ont tiré de la pauvreté des centaines de millions de personnes en 30 ans ». « Et aujourd’hui, la Chine est au premier plan des énergies vertes, avec les TGV, l’énergie solaire », souligne-t-il.

M. Nansai admet que l’enrichissement des pays émergents lié aux exportations vers les pays riches peut leur permettre, ensuite, d’adopter des règles environnementales plus restreignantes et coûteuses. « Mais on ne peut pas se laver les mains de ces morts prématurées », dit M. Nansai.

Mécanismes d’ajustement

M. Nansai propose de taxer les biens provenant de pays ayant des règlements de qualité de l’air déficients, pour les encourager à resserrer ces politiques. Il s’agit d’une proposition similaire aux « mécanismes d’ajustement carbone aux frontières ». Ces taxes aux importations sont proposées par l’Union européenne et le Canada pour protéger leurs entreprises émettant beaucoup de gaz à effet de serre de la concurrence provenant de pays ne taxant pas les émissions de gaz à effet de serre. Michel Poitevin, économiste à l’Université de Montréal et spécialiste de ces mécanismes d’ajustement carbone, estime qu’il est délicat de dicter les choix politiques d’autres pays. « Pour les gaz à effet de serre, tout le monde en subit les conséquences, alors les mécanismes d’ajustement carbone sont justifiés, dit M. Poitevin. Mais la pollution atmosphérique locale est une autre chose. C’est comme pour le travail des enfants, ou les Ouïghours. Si les pays riches n’ont pas d’impact direct sur les choix politiques des autres pays, il devient plus délicat d’intervenir dans les décisions locales. » Si des taxes augmentent les prix des biens en provenance des pays émergents, les entreprises ne seront-elles pas tentées de passer leurs commandes aux usines des pays riches ? « Non, je crois qu’elles vont vouloir appuyer le développement des pays émergents, même si elles ne font pas d’économies en important les biens qu’elles vendent dans leurs magasins », dit M. Nansai.

1 pour 28

1 mort prématurée est causée dans les pays émergents pour chaque groupe de 28 consommateurs de pays riches qui achètent au cours de leur vie des produits fabriqués dans ces pays.

Source : Nature Communications

Une version précédente de ce texte indiquait erronément que le Dr Reeves est cardiologue à l’Institut de cardiologie de Montréal