Les principales sociétés pétrolières opérant au Canada prévoient d’augmenter leur production de près de 30 % d’ici 2030 et n’ont aucun plan détaillé pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). C’est le constat d’un rapport accablant dévoilé mercredi en marge de la conférence sur le climat à Glasgow, en Écosse.

Le rapport préparé par les groupes Environmental Defence Canada et Oil Change International soutient également que cette hausse de production entraînera une augmentation de 25 % des GES de l’industrie pétrolière au pays.

Le document intitulé Canada’s Big Oil Reality Check : Assessing the climate plans of Canadian oil and gas producers évalue les engagements de huit compagnies pétrolières opérant au Canada, soit Cenovus, Suncor, Canadian Natural Resources, Tourmaline Oil, ExxonMobile, ARC Resources, Shell Canada et Ovintiv.

« En fin de compte, aucune société pétrolière et gazière opérant au Canada n’a élaboré de plan sur les changements climatiques qui propose le strict minimum pour faire face à cette urgence climatique », conclut le rapport.

« Les sociétés pétrolières et gazières canadiennes ont élaboré et publié leurs engagements en matière de changement climatique dans un cadre global qui suppose une expansion continue de la production. C’est pourquoi ils ne doivent pas être pris au sérieux par les décideurs politiques, les financiers ou le public », souligne-t-on.

Une grille d’analyse comptant 10 critères a servi à évaluer les huit pétrolières et aucune d’entre elles n’a passé le test, estiment les groupes Environmental Defence Canada et Oil Change International. Par exemple, soulignent-ils, aucune de ces entreprises ne prévoit réduire sa production d’ici 2030 et aucune n’a établi un plan pour atteindre l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré.

Accroître la production

Sur son site internet, l’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP) ne cache d’ailleurs pas ses intentions en soulignant que l’industrie peut accroître sa production de pétrole et de gaz naturel tout en atteignant ses objectifs climatiques.

L’ACPP affirme notamment que depuis 1990, les émissions de GES des sables bitumineux par baril ont chuté de 34 %. Or, selon Environmental Defence Canada et Oil Change International, la plupart des entreprises canadiennes excluent entre 70 et 80 % des émissions de GES issues de leurs activités, soit au moment où celles-ci sont brûlées.

L’industrie compte aussi sur les technologies de captation du carbone, mais celles-ci sont encore très coûteuses, et ne peuvent constituer une solution miracle. Par exemple, un projet de captation de Shell en Alberta, au coût de 1,3 milliard de dollars, a reçu 865 millions en fonds publics.

En 2019, le Production Gap Report a établi que la production mondiale de pétrole devrait diminuer de 4 % par année d’ici 2030, et de 3 % pour le gaz naturel, afin de respecter l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 degré. Cette ONG analyse les écarts entre les objectifs climatiques et la production d’hydrocarbures à l’échelle mondiale. Son plus récent rapport, dévoilé il y a quelques semaines, soutient que la production mondiale de pétrole, de gaz naturel et de charbon anticipée pour 2030 serait de 45 % supérieure aux limites nécessaires pour maintenir le réchauffement sous les 2 degrés.

Par ailleurs, une étude de la revue scientifique Nature a récemment calculé que 80 % des ressources en gaz et pétrole du Canada ne devraient pas être exploitées afin de respecter les objectifs de l’Accord de Paris.

Dans un discours à la COP26, lundi, le premier ministre Justin Trudeau a déclaré que le Canada allait imposer un plafond fixe sur les émissions de GES dans le secteur de l’énergie, qui correspond environ au quart de toute la production de GES au pays.

Cet engagement avait été pris au cours de la dernière campagne électorale fédérale. Celui-ci prévoit limiter les émissions à leur niveau actuel, puis de diminuer lentement le plafond tous les cinq ans jusqu’à atteindre une production neutre en 2050.

Invité par La Presse à commenter le rapport, le bureau du nouveau ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault n’a pas donné suite à notre demande.

Avec La Presse Canadienne

« On ne peut pas les laisser s’autogérer »

Le rapport a fait vivement réagir Émile Boisseau-Bouvier, analyste aux politiques climatiques chez Équiterre. « Aucune des grandes compagnies fossiles du Canada n’est même proche d’avoir un plan compatible avec 1,5 degré. Une preuve de plus qu’on ne peut pas les laisser s’autogérer », a-t-il déclaré sur Twitter mercredi.

Consultez le rapport (en anglais) 

Des sables bitumineux carboneutres en 2050

ConocoPhillips Canada a annoncé mercredi qu’elle se joignait à l’initiative pour des sables bitumineux carboneutres, qui regroupe déjà les sociétés Canadian Natural Resources, Cenovus Energy, Imperial, MEG Energy et Suncor Énergie. Ces entreprises réunies représentent 95 % de la production de sable bitumineux au pays. L’objectif est d’éliminer 68 mégatonnes de GES par année issue de l’exploitation des sables bitumineux.