(Glasgow) Le premier ministre Justin Trudeau a pressé les chefs d’État et de gouvernement de couvrir 60 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre par un prix sur la pollution en 2030, lors d’un discours prononcé mardi dans le cadre des discussions sur le climat de la COP26 de Glasgow.

« Nous reconnaissons à l’heure actuelle qu’environ 20 % seulement des émissions mondiales sont couvertes par un prix sur la pollution », a-t-il déclaré lors de son discours.

« Nous devrions être ambitieux et dire dès aujourd’hui que nous voulons tripler cela pour que 60 % des émissions mondiales soient couvertes par un prix sur la pollution en 2030. »

M. Trudeau a commencé la deuxième et dernière journée des négociations annuelles sur le climat en co-organisant un évènement sur la tarification du carbone, présentant le prix du carbone du Canada comme l’un des plus ambitieux et, selon ses propres termes, rigoureux au monde.

« Ce que fait un prix du carbone fort, lorsqu’il est correctement conçu, c’est en fait d’influencer les prix du secteur privé, transformer l’économie et soutenir les citoyens en les encourageant à faire de meilleurs choix », a-t-il déclaré.

La proposition de Justin Trudeau a reçu l’appui de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, la directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce Ngozi Okonji-Iweala, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) Kristalina Georgieva et l’envoyé des Nations Unies pour le financement de l’action climatique Mark Carney, dont l’influence dans le monde de l’investissement en tant qu’ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre est importante.

La notion d’un prix mondial du carbone n’est pas nouvelle. Le FMI a proposé un tel système au printemps dernier.

« Le prix mondial moyen du carbone est aujourd’hui de 3 $ (la tonne) », a déclaré Kristalina Georgieva mardi. « Si nous voulons réduire les émissions de manière significative pour conserver notre espoir de ne pas dépasser la hausse de 1,5 degré ou près de 1,5 degré Celsius, d’ici 2030, nous devons être à 75 $ ou plus (la tonne). »

Elle a déclaré qu’un prix mondial minimum du carbone obligerait d’abord les grands émetteurs à avoir une « tarification compatible du carbone » et que le prix devrait être équitable afin que les grands émetteurs et les pays les plus riches paient plus, et que les pays moins développés et les plus pauvres paient des montants moins élevés.

Ursula Von der Leyen, avec qui Justin Trudeau s’est entretenu en tête-à-tête lors du sommet des dirigeants du G20 à Rome, juste avant la COP26, a déclaré que le marché européen des échanges de carbone en place depuis 2005 a connu un énorme succès en réduisant les émissions des industries et de l’énergie et a prouvé que l’économie peut croître sans que les émissions augmentent.

Elle a déclaré qu’en Europe en général depuis 1990, les émissions ont baissé de 30 % et la croissance économique est en hausse de 60 %.

Ursula Von der Leyen a déclaré que « dans un monde parfait, j’aimerais avoir un prix mondial du carbone pour tous les émetteurs dans tout le monde ». Mais pour ceux qui ne le font pas, l’Europe introduit un ajustement carbone aux frontières qui signifiera que « si vous amenez un produit polluant sur notre marché, vous devrez payer un prix comme si vous étiez dans le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne. »

« Mais nous préférons que vous gardiez l’argent dans votre économie en mettant un prix sur le carbone dans votre économie », a-t-elle déclaré.

La tarification du carbone ne fait pas partie du plan du président américain Joe Biden pour lutter contre le changement climatique, mais Justin Trudeau a dit avoir bon espoir que d’autres pays se rendent compte que les autres moyens de réduire les émissions sont plus coûteux et moins efficaces.

« Les différents pays vont prendre leur propre décision sur comment ils vont (agir) et quels outils ils vont utiliser, mais nous, on est là pour démontrer que ça se fait. Ça se fait de façon directe qui aide les gens et qui va fonctionner pour limiter les émissions. Et je sais qu’il y a bien des pays qui vont être très intéressés par l’exemple, le leadership du Canada et d’autres pays qui sont déjà allés de l’avant avec la tarification du carbone », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse après son discours.

« Et la tarification du carbone est l’un des moyens les plus efficaces et les moins chers d’y parvenir… C’est un outil extrêmement puissant qui incite les entreprises et les consommateurs à faire des choix plus intelligents », a ajouté le premier ministre.

Justin Trudeau a déclaré qu’il était de l’avis que les pays qui choisissent de ne pas appliquer de tarification sur le carbone « devront en faire plus dans d’autres secteurs de leur économie » et qu’en fin de compte, ils débourseront plus d’argent pour lutter contre la pollution.

« Et c’est ce qui est si attrayant dans la tarification du carbone. »

Justin Trudeau a également déclaré qu’il doit y avoir des mesures pour garantir que les pays qui font ce qu’il faut pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ne perdent pas au change économiquement face aux pays qui ne mettent pas de prix sur le carbone et sont, par conséquent, en mesure de produire des biens moins chers.

Son gouvernement a entamé des consultations pour explorer l’idée d’imposer des « ajustements à la frontière pour le carbone » pour assurer des règles du jeu équitables, afin que les produits importés soient soumis aux mêmes tarifs sur le carbone que les produits canadiens.

Justin Trudeau a cité l’aluminium en exemple, affirmant que le Canada a beaucoup investi dans la production de « l’aluminium le plus propre au monde », mais qu’il est en concurrence avec l’aluminium moins cher produit ailleurs « de manière plus polluante avec des normes de travail nettement inférieures ».

« Je ne pense pas que ce soit le genre de monde que nous voulons, où les gens qui font les bonnes choses de la bonne manière sont pénalisés et ceux qui font les mauvaises choses de la mauvaise manière obtiennent des avantages », a-t-il déclaré.

Justin Trudeau avait commencé la première journée du sommet par un discours appelant le reste du monde à suivre l’exemple du Canada et à négocier un prix minimum mondial du carbone.

Il compare l’idée à l’impôt minimum sur les sociétés de 15 % que plus de 130 pays ont maintenant signé dans le but d’empêcher les grandes sociétés multinationales d’éviter les impôts en canalisant leurs bénéfices vers des pays à faible taux d’imposition.

« Cela garantit que ceux qui sont des leaders de la tarification de la pollution ne sont pas injustement pénalisés », a-t-il déclaré.

La tarification du carbone a été un champ de mines politique au Canada ; les premiers ministres provinciaux conservateurs qui s’y opposaient ont mené la lutte jusqu’à la Cour suprême, qui a donné raison au gouvernement fédéral.

Le Parti conservateur du Canada, longtemps opposé à la tarification du carbone, est désormais lui-même engagé dans un débat interne sur le fond.

Le chef Erin O’Toole a promis de mettre en œuvre une autre version d’un prix sur le carbone lors des récentes élections avec un système semblable à une carte de récompense.

Un intérêt sans précédent

Le nouveau ministre de l’Environnement Steven Guilbeault a déclaré lundi qu’il pense que cette édition de la COP pourrait être celle qui déclenchera le début d’une véritable négociation vers un prix mondial du carbone.

Il a précisé qu’il y avait un niveau d’intérêt pour l’idée qu’il n’avait jamais vu auparavant.

Le ministre de l’Environnement a indiqué que « ce n’était pas une affaire conclue » en ajoutant que la conférence de Glasgow a toutefois le potentiel d’être le moment où nous commençons réellement à travailler sur le développement d’une telle initiative.

La tarification du carbone au Canada a commencé en 2019 à 20 $ la tonne et devrait atteindre 170 $ la tonne d’ici 2030. Le prix actuel de 40 $ la tonne ajoute environ 8,8 cents au litre d’essence, soit environ 3,50 $ de plus chaque fois que vous remplissez votre voiture avec 40 litres d’essence.

Mais l’argent est remis aux citoyens lors des déclarations de revenus pour rendre le programme neutre en termes de revenus. L’idée est qu’un prix du carbone ne devrait pas laisser moins d’argent aux familles, mais inciter à trouver des moyens de réduire l’utilisation des combustibles fossiles en augmentant leur coût.

Elle s’applique également au gaz naturel, au propane, au carburéacteur et à tout autre carburant liquide, en fonction du poids des émissions de gaz à effet de serre produites lors de la combustion de ce carburant.

Le prix national du Canada ne s’applique que dans les provinces qui n’ont pas de politique provinciale équivalente en place : l’Alberta, la Saskatchewan, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick.

Une politique distincte pour les grands émetteurs industriels utilise le même prix, mais n’est facturée que sur une partie des émissions totales produites, plutôt que sur les carburants que ces émetteurs achètent pour faire fonctionner leurs machines industrielles.

Le groupe international de défense de l’environnement « Citizens Climate Lobby » indique qu’il existe 64 politiques de tarification du carbone dans le monde, y compris un prix direct sur les émissions de carbone et des systèmes de plafonnement et d’échange.

Plus d’une vingtaine de ses systèmes sont des politiques nationales, et les autres sont infranationales, dont font partie des États américains comme la Californie, des provinces canadiennes comme le Québec et des villes comme Tokyo.

Les États-Unis et l’Australie sont les deux seules économies pleinement développées sans une certaine forme de tarification du carbone.