Le Canada « camoufle » 80 millions de tonnes d’émissions de GES issus de l’exploitation forestière, plaide un rapport dévoilé jeudi par quatre groupes environnementaux. Des affirmations contestées par l’industrie qui affirme que ses pratiques sont conformes aux normes internationales.

À quelques jours de l’ouverture de la COP26, à Glasgow, en Écosse, Nature Québec, Nature Canada, Environmental Defence Canada et Natural Resources Defense Council soutiennent que « le Canada a adopté une approche biaisée du calcul et de la déclaration du carbone du secteur forestier qui masque les impacts majeurs de l’exploitation forestière sur le climat ».

Selon ces groupes, « le Canada gonfle le volume de dioxyde de carbone que les forêts aménagées éliminent de l’atmosphère de plus de 80 millions de tonnes par an, soit un volume supérieur à l’empreinte carbone annuelle du secteur des bâtiments au Canada et plus de 10 % du total annuel des émissions de gaz à effet de serre déclarées par le Canada ».

Le rapport intitulé L’omission des émissions : Comment les échappatoires dont bénéficie l’industrie forestière mettent en péril le leadership du Canada en matière de climat allègue des lacunes dans la façon dont le fédéral mesure et réglemente les émissions de l’industrie forestière.

Le document soutient également que le Canada permet à l’industrie forestière de « liquider » des forêts primaires, qui sont plus riches en carbone au profit de jeunes arbres qui mettront des décennies avant de capter autant de carbone qu’un arbre mature.

« Entretenir une fiction »

Le Canada ferait notamment abstraction dans son calcul des émissions dues aux incendies de forêt. Les auteurs reprochent aussi à Ottawa de ne pas évaluer les progrès de l’industrie par rapport à 2005, année de référence qui est utilisée pour d’autres secteurs d’activité. Les autorités se baseraient plutôt sur les émissions projetées de 2030 si l’exploitation forestière avait poursuivi ses activités à un taux historique.

Le Canada exclurait également les émissions liées aux chemins forestiers et aux lignes sismiques : 13 mégatonnes par année seraient ainsi omises dans les calculs.

Finalement, le rapport reproche aussi aux autorités d’exclure l’industrie forestière de la réglementation sur la tarification du carbone applicable à d’autres secteurs, une forme de subvention à l’industrie, indique-t-on.

Selon Alice-Anne Simard, directrice de Nature Québec, le Canada ne tient pas compte de la totalité des émissions issues de l’exploitation de la forêt. « Ce qu’on fait, c’est qu’on continue d’entretenir la fiction que l’industrie forestière est neutre en carbone », affirme-t-elle.

« Je suis sidéré de voir ça », déclare le PDG du Conseil de l’industrie forestière du Québec, Jean-François Samray, au sujet du rapport dévoilé jeudi. Selon lui, les calculs des émissions sont aussi scrutés de près par les autres nations.

« Au Québec, les pratiques de récolte [du bois] sont conformes aux normes internationales », ajoute le représentant de l’industrie.

L’importance des forêts primaires

« La forêt boréale canadienne est à la fois une zone critique pour la biodiversité et l’écosystème terrestre le plus dense en carbone au monde, stockant deux fois plus de carbone par hectare que les forêts tropicales, ce qui en fait une alliée incontournable dans la lutte contre les changements climatiques », soutient le rapport. Selon les auteurs, le Canada minimise cependant « le coût réel en carbone de l’exploitation forestière industrielle » et sous-évalue les avantages liés à la protection des forêts existantes.

Une étude récente parue dans Science Advances établissait d’ailleurs le potentiel des solutions naturelles pour le climat à 78,2 mégatonnes de GES au Canada en 2030. C’est-à-dire que la préservation de milieux naturels, comme les forêts ou les milieux humides, permet d’éviter de relâcher du carbone dans l’atmosphère.

De son côté, le professeur au département des sciences du bois et de la forêt à l’Université Laval, Luc Bouthilier, conteste l’affirmation du rapport voulant que les émissions de GES issues des incendies de forêt ne soient pas comptabilisées. « On en tient compte », dit-il.

Il confirme cependant que les vieilles forêts stockent beaucoup plus de carbone que les forêts plus jeunes. Selon lui, c’est toute l’industrie qui doit s’adapter pour faire face aux changements climatiques. « Une grande mise à jour s’impose. Ça prendrait une foresterie radicalement différente. »

Consultez un résumé du rapport (en français) Lisez le rapport au complet (en anglais)

400 000

Selon le rapport, c’est la superficie de forêt boréale qui est coupée chaque année par l’industrie forestière, soit 400 000 hectares.

90 %

Plus de 90 % des activités de foresterie au pays consistent en des coupes à blanc, soutient le rapport.

Source : L’omission des émissions : Comment les échappatoires dont bénéficie l’industrie forestière mettent en péril le leadership du Canada en matière de climat