Plus chers, plus polluants, plus gourmands en énergie : le portrait des camions légers dressé par l’organisation à but non lucratif québécoise Équiterre est peu reluisant, voire très alarmant. Les émissions de gaz à effet de serre des camions légers ont augmenté de 169 % en 30 ans, tandis que celles des voitures classiques ont baissé de 9 %. Pourtant, le nombre de camions légers circulant au Québec a triplé durant cette période. Comment inverser cette tendance ?

Pour répondre à cette question, il faudrait déjà se demander pourquoi autant de camions légers, comme les camionnettes (pick-ups) ou les véhicules utilitaires sports (VUS), sont vendus au Québec. Ils représentent aujourd’hui 69 % du marché automobile – contre 6 % pour les voitures électriques. Le rapport précise qu’en 2019, « pour chaque voiture électrique vendue, il s’est vendu environ 11 camions légers à essence ». Selon Andréanne Brazeau, analyste en mobilité chez Équiterre, cette « ère de la "camionisation" du parc automobile » a des causes multiples.

Paradoxalement, le règlement sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) a tendance à faire pencher la balance en faveur des camions légers. « Il a été conçu de manière à ce que les contraintes soient moins importantes pour les gros véhicules. Donc les constructeurs vont en produire plus », explique-t-elle. En conséquence, l’offre pour les petites voitures se fait de plus en plus rare.

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Le nombre de camions légers circulant au Québec a triplé en 30 ans.

La publicité crée le besoin

La publicité joue également un rôle central, d’après Andréanne Brazeau : elle crée des « narratifs ». Par exemple, avoir un gros véhicule neuf est associé à la virilité et à la réussite. La publicité suscite aussi un faux sentiment de sécurité. Or, le rapport indique que « plus un véhicule est lourd, plus la fréquence des collisions et le risque de mortalité des personnes impliquées dans une collision sont élevés ». Les chiffres le confirment : lors d’un accident, il y a plus de « piétons blessés gravement lorsqu’un VUS est impliqué (10,6 %) par rapport à lorsqu’aucun camion léger n’est impliqué (6,7 %) », peut-on lire dans le rapport.

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À cause de leur taille et leur poids, les camions légers font plus de blessés lors d’accidents.

Du côté de la demande, l’aspect social entre aussi en jeu : si tout le monde possède un camion léger, une personne souhaitant s’acheter une nouvelle voiture va avoir davantage tendance à envisager cette option. « Et c’est rare que quelqu’un qui a eu trois VUS dans sa vie passe ensuite à une Smart », plaisante-t-elle. « Mais dans un contexte de crise climatique, on ne peut pas penser que la transition écologique va être de n’avoir que des camionnette électriques dans 50 ans. »

De profonds changements dans nos choix de vie

L’initiative Réduire notre empreinte, de l’organisme Vivre en Ville, vise justement à sensibiliser la population et les décideurs à réduire leur impact énergétique. Pour Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville, les « petits gestes du quotidien » ne suffiront pas à réduire notre empreinte énergétique globale. « Ce qui peut faire la véritable différence, […] ce sont davantage les choix de vie », souligne-t-il.

Ces choix de vie se font, par exemple, lorsqu’il s’agit de réfléchir à la localisation de sa future maison par rapport à son lieu de travail, mais aussi lors de l’achat d’une voiture. « Il y a un virage individuel et collectif à prendre pour sortir de ce puits énergétique sans fond », affirme-t-il. « [Il faudrait] moins utiliser sa voiture, avoir moins de voitures [en circulation], utiliser d’autres moyens de transport… Et pour les voitures qui restent, qu’elles soient plus petites et idéalement électriques. »

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La publicité joue un rôle central dans la vente des camions légers.

Le rôle crucial des décideurs

De tels choix ne pourront cependant pas se faire sans un environnement adapté, selon Christian Savard. « On veut interpeller les citoyens, mais aussi les décideurs : les politiques, les gouvernements, les entreprises… », énumère-t-il. « Il faut transformer les milieux de vie pour que les citoyens puissent plus facilement faire des choix qui contribuent à réduire leur empreinte énergétique : davantage de transports en commun, davantage d’infrastructures pour les transports actifs [à pied, à vélo], protéger les commerces de proximité… »

« Il faut que les options de mobilité durables soient les plus logiques, les plus abordables et les plus accessibles », conclut Andréanne Brazeau.

Consultez le rapport d’Équiterre

2035

Fin de la vente des véhicules légers à essence ou au diesel au Québec et au Canada